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Libération
Présidentielle

A Madagascar, une élection au goût de revanche

Les deux favoris du premier tour qui s’est déroulé mercredi, Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina, étaient les protagonistes principaux de la crise sanglante de 2009. Les tout premiers résultats les donnent au coude-à-coude.
Lors d'un dépouillement à Antananarivo, mercredi. (Photo Marco Longari. AFP)
publié le 9 novembre 2018 à 6h14

La querelle qui empoisonne la vie politique de Madagascar depuis bientôt dix ans va-t-elle se régler par les urnes ? L’élection présidentielle oppose pour la première fois devant les électeurs Marc Ravalomanana, 68 ans, et Andry Rajoelina, 44 ans, deux anciens chefs de l’Etat engagés dans un interminable un bras de fer. Le premier avait été renversé en 2009 au terme d’un cycle de manifestations organisées par le second. Dans la capitale, Antananarivo, les protestations avaient tourné à l’émeute avant d’être réprimées dans le sang. Rajoelina, soutenu par l’armée, prit alors la tête d’une «Haute autorité de la transition» qui dirigea le pays pendant quatre ans – un coup de force dénoncé comme un coup d’Etat par la communauté internationale.

En 2013, dans un souci d'apaisement, les deux rivaux ont été interdits de se présenter à l'élection présidentielle. Cette année, ils sont les candidats numéro 13 et numéro 25 dans un scrutin qui compte 36 prétendants. L'un et l'autre attendaient impatiemment cette revanche. «Ravalomanana et Rajoelina ont mené une campagne électorale extrêmement dispendieuse, à coups de déplacement en hélicoptères, de concerts et de distributions de tee-shirts, illustration de la coupure totale entre le peuple et les élites à Madagascar, décrit le chercheur Christian Bouquet, du Laboratoire des Afriques dans le monde, à Bordeaux. On a assisté à une caricature de processus démocratique. Les programmes sont vides, chacun a promis d'éradiquer la pauvreté et la corruption…»

Rancunes de 2009

Le premier tour, mercredi, s'est déroulé dans le calme. Mais le pays retient son souffle. Car depuis des années, l'hostilité entre les deux hommes s'est nourrie d'une longue série de manœuvres de l'ombre (politiques, commerciales, familiales) impliquant leurs réseaux respectifs. Ravalomanana et Rajoelina ont pourtant beaucoup de choses en commun. Originaires des hauts plateaux, appartenant à l'ethnie merina, riches hommes d'affaires (l'un a fait fortune dans le secteur de l'agroalimentaire, l'autre dans celui de la publicité), ils ont tous deux été maires d'Antananarivo et possèdent chacun leur chaîne de télévision. «Leurs deux partis se sont même rapprochés en avril, formant une alliance contre-nature pour faire barrage à un projet de loi électorale qui leur était défavorable, explique Tiana Tatiana Deyrius, doctorante à l'université d'Ankatso, à Antananarivo. Mais ni les accords tactiques ni les similitudes personnelles ne suffisent à apaiser les tensions : les rancunes de 2009 sont encore profondément ancrées dans les deux camps.»

Dès le lendemain du vote, la Commission électorale nationale indépendante (Céni) a commencé à publier les premiers résultats. A 8 heures vendredi, ils ne portaient que sur 1390 bureaux de vote sur 24 852 et n'étaient donc en rien significatifs. Mais en diffusant rapidement, au compte-gouttes, les chiffres du dépouillement, la Céni essaye de couper l'herbe sous le pied aux candidats tentés de se déclarer vainqueurs avant l'heure (la proclamation officielle aura lieu le 28 novembre). Sans surprise, les premières tendance donnaient Ravalomanana et Rajoelina largement en tête (avec environ 40% des voix chacun). En troisième position, le président sortant, Hery Rajaonarimampianina, avec seulement 4% des suffrages, qui a déjà dénoncé de «nombreuses irrégularités».

Instabilité politique

Si personne ne dépasse la barre des 50%, un second tour est prévu pour départager les deux candidats arrivés en tête, le 19 décembre. «Ce serait un scénario favorable à la stabilité. Il exige un ralliement des petits candidats, qui conférerait une certaine légitimité au vainqueur, analyse Christian Bouquet. Un « coup K.-O. », c’est brutal, le gagnant n’a rien à négocier. Dans un pays polarisé, fragilisé par une longue instabilité politique, c’est un risque.» Le souvenir des troubles post-électoraux de 2001 – Ravalomanana s’était autoproclamé président de la République après avoir revendiqué une victoire dès le premier tour – est encore présent dans les esprits. «Au train où vont les choses, une crise dès le premier tour n’est pas à écarter. Le fait que les résultats annoncés par la chaîne de Ravalomanana (ils avoisinent les 50%) soient différents de ceux de la Céni rappelle la situation de 2001», s’inquiète Tiana Tatiana Deyrius. Les prochains jours diront si la classe politique malgache peut abandonner ses mauvaises habitudes. Et enfin clore ce long chapitre de crise.