Menu
Libération
Analyse

Yémen, le début de la fin de la guerre ?

Après trois ans et demi d’un conflit qui tue et affame la population, la diplomatie internationale s’active enfin pour faire pression sur Riyad. Des pourparlers de paix devraient se tenir bientôt.
Des combattants loyalistes en route vers le port d’Hodeida, le 6 novembre. (Photo AFP)
publié le 13 novembre 2018 à 20h16

Le visage et le corps décharnés de la petite Amal, 7 ans, à la une du New York Times le 26 octobre a provoqué un électrochoc. La photo de la fillette yéménite, qui a succombé une semaine plus tard à la malnutrition, a donné une visibilité inédite à «la tragédie de la guerre de l'Arabie Saoudite», selon la manchette du quotidien américain. Depuis 2015, la guerre au Yémen, menée par une coalition arabe dirigée par l'Arabie Saoudite contre les rebelles houthis, a déjà tué plus de 2000 autres enfants, morts de faim, de maladie ou sous les bombes. Mais c'est à la faveur d'un autre martyre, celui du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, assassiné le 2 octobre au consulat d'Arabie Saoudite à Istanbul, qu'elle semble sortir de l'ombre. Restées longtemps sourdes aux cris d'alarme et aux appels des organisations humanitaires, les puissances occidentales, qui ont soutenu pendant plus de trois ans la coalition arabe, en armes, renseignement et diplomatie, augmentent la pression ces derniers jours pour «arrêter les frais» de cette «sale guerre», comme l'appelle le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian.

Le scandale international provoqué par l'affaire Khashoggi a fait renaître un intérêt soudain pour un conflit oublié et meurtrier. Et pourrait «ouvrir une fenêtre d'opportunité pour poser la voie d'une résolution politique de la guerre au Yémen », ont estimé conjointement Emmanuel Macron et Donald Trump à l'issue de leur entretien à Paris le 11 novembre. Les soupçons qui pèsent sur Mohammed Ben Salmane (MBS) dans l'affaire Khashoggi ont braqué l'attention sur les autres entreprises brutales de l'homme fort d'Arabie Saoudite. Et en premier lieu l'offensive qu'il a lancée en mars 2015 pour appuyer le gouvernement légitime au Yémen, confronté à une rébellion armée soutenue par l'Iran. Une intervention dont le jeune prince saoudien, également ministre de la Défense, comptait tirer avantage pour asseoir son autorité comme chef de guerre dans son pays comme dans la région. Mais le conflit s'est révélé être un véritable bourbier qui a au contraire assombri l'aura de MBS, au point qu'il est devenu pratiquement tabou d'en parler à l'intérieur du royaume. Longtemps soutenu inconditionnellement par Donald Trump, MBS semble désormais lâché par son allié américain, visiblement sous la pression du Congrès, notamment en ce qui concerne l'aide militaire au Yémen. Ainsi Washington a-t-il confirmé l'annonce faite samedi par Riyad que la coalition allait désormais effectuer elle-même le ravitaillement en vol de ses avions, assuré jusqu'ici par les Etats-Unis.

Evacuation

Profitant de l'affaiblissement de l'Arabie Saoudite en plein désarroi face à l'enquête sur le meurtre de Khashoggi, plusieurs responsables occidentaux ont fait le voyage à Riyad pour évoquer la guerre au Yémen. Tour à tour, le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, et son homologue britannique, Jeremy Hunt, ont estimé que le temps de la négociation était venu. Lors d'un entretien dimanche avec MBS, Pompeo a explicitement appelé à «la fin des hostilités», demandant que «toutes les parties viennent à la table pour négocier une solution pacifique au conflit». Le ministre britannique des Affaires étrangères, qui s'est entretenu lundi à Riyad avec le roi Salmane et son homologue Adel al-Joubeir, a appelé les Saoudiens à ne pas «risquer un désastre humanitaire en recherchant une victoire militaire», notamment dans la bataille de Hodeida. Et aurait perçu une «véritable volonté» saoudienne d'entamer des pourparlers de paix. Hunt s'est également rendu à Abou Dhabi pour rencontrer Mohamed Ben Zayed, le prince héritier des Emirats arabes unis, l'autre tête pensante de la guerre au Yémen. Parmi les «mesures de confiance» proposées par le ministre britannique, figure une autorisation agréée mardi par les Saoudiens aux rebelles houthis pour l'évacuation d'une cinquantaine de leurs combattants blessés vers le sultanat d'Oman voisin pour y être soignés. Le rejet par l'Arabie Saoudite d'une demande similaire en septembre avait fait capoter une rencontre à Genève sous l'égide de l'ONU pour un dialogue entre frères ennemis yéménites. Alors qu'ils avaient donné leur accord à la réunion organisée par Martin Griffiths, l'envoyé spécial de l'ONU pour le Yémen, les Houthis ont été attendus en vain pendant deux jours par la délégation du gouvernement légal, qui est rentrée de Genève bredouille.

Rencontre

Aujourd'hui une solution est «sur la table», assure le secrétaire général de l'ONU, António Guterres. Elle «a été présentée aux pays acteurs du conflit. Et la première réaction a été relativement positive», assure Guterres, qui croit au «consensus». La Russie, les Etats-Unis, l'Europe et les pays de la région seraient d'accord pour dire qu'il faut arrêter la guerre. Les chances pour que s'engage un processus de sortie du conflit au Yémen semblent, de fait, se préciser. Une rencontre est en préparation avant la fin de l'année en Suède entre les belligérants. Les nouvelles négociations devraient être élargies à d'autres parties yéménites, en particulier les séparatistes sudistes, soutenus par les Emirats arabes unis, qui jouent leur propre partie en rivalisant avec le président Mansour Hadi, soutenu par l'Arabie Saoudite et reconnu par la communauté internationale. Toutefois, les pressions occidentales sur la coalition dirigée par l'Arabie Saoudite pourraient pousser les Houthis à raidir leur position. Soutenus par un Iran soucieux de voir MBS embourbé dans sa guerre, ces rebelles appartenant à une branche du chiisme sont des combattants aguerris, qui maîtrisent le terrain.

Aux cours de toutes ces rencontres autour du Yémen, les responsables occidentaux en ont profité pour appeler l’Arabie Saoudite à se montrer plus coopérative dans l’enquête sur l’affaire Khashoggi. Ironiquement, l’assassinat horrifiant du journaliste saoudien pourrait servir à mettre fin à une guerre atroce qui continue de faire des milliers d’autres victimes innocentes.