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Libération
La lettre politique

Brexit is not Brexit

L'édito politique de Laurent Joffrin.
Le président du Conseil de l'Europe, Donald Tusk (g) et la Première ministre britannique, Theresa May, au 10 Downing Street, à Londres, le 25 juin 2018 (Photo Leon Neal. AFP)
publié le 15 novembre 2018 à 17h08
(mis à jour le 15 novembre 2018 à 17h22)

La pantalonnade du Brexit, vendu au peuple britannique par une bande de nationalistes irresponsables, arrive à une conclusion (provisoire) aussi clownesque que les pitreries dont l’un de ses avocats les plus virulents, Boris Johnson, aime à émailler ses apparitions publiques.

Pendant une campagne truffée de mensonges et de «fake news», personne ou presque n'avait remarqué que la sortie de la Grande-Bretagne hors de l'Union poserait à l'Irlande du Nord un problème inextricable. Soit on rétablissait une frontière entre les deux Irlandes (l'une restant dans l'Union, l'autre en sortant), ce qui ruinait en grande partie l'accord de paix péniblement conclu dans l'île ; soit on déplaçait la frontière en mer d'Irlande, ce qui revenait à séparer du Royaume-Uni sa province de l'Ulster, ce qui en faisait un royaume désuni. Pour surmonter l'obstacle, Theresa May et l'Union européenne ont concocté un compromis oxymorique qui consiste à faire sortir la Grande-Bretagne de l'Europe tout en l'y maintenant. «Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée», disait Musset ; la porte reste à moitié ouverte, ou à demi fermée.

Résultat : la Grande-Bretagne quitte la gouvernance européenne mais reste au moins deux ans dans l'union douanière et ne peut en sortir qu'avec l'accord de l'Union. Ainsi les normes, les règles, les interdictions édictées par Bruxelles restent en vigueur, mais Londres n'aura plus le droit de participer à leur évolution, qui sera décidée par les 27. «Take back control», disaient les «brexiters». «Lose control», propose Theresa May. Le Brexit devait renforcer la souveraineté britannique : au bout du compte, il l'amoindrit. Une issue digne de Groucho Marx. En attendant, l'économie britannique s'essouffle et les Anglais font des stocks dans la crainte d'une pénurie possible.

Depuis trois ans, la vie politique du royaume est paralysée par les négociations byzantines entre les deux parties et, surtout, entre des députés conservateurs plus divisés que jamais. Hostile au Brexit avant le vote, Theresa May a arrêté sa position en s'alignant sur la volonté des électeurs : «Brexit is Brexit», a-t-elle dit. Depuis, elle passe son temps à organiser une sortie qu'elle réprouve au fond d'elle-même, dans une action digne non de Winston Churchill, mais de Sacher-Masoch. C'est un accord «perdant-perdant», résume Donald Tusk, le président du Conseil européen. On ne saurait mieux dire.

Les «brexiters» crient à la trahison, ce qui a le mérite de la cohérence. Feront-ils tomber Theresa May ? Possible. Dans ce cas, le chemin de croix du Brexit reprendra, au plus grand détriment du peuple dont ils se réclament. Avec cette morale, qui domine toute l’affaire : la vraie trahison, c’est la démagogie chauvine.