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Libération
Édito

Brésil : quand j’entends le mot culture…

Une école à Altamira, dans l'Etat de Pará, au centre du Brésil, en 2012. (Photo Evaristo Sa. AFP)
publié le 18 novembre 2018 à 17h06

En ces temps nationalistes, la Raison progresse à grands pas. Alors même que Jair Bolsonaro, président élu du Brésil, n'est pas encore entré en fonction (il le sera au début 2019), le Parlement du pays doit examiner un projet de loi sur l'enseignement qui suscite l'inquiétude de nombreux professeurs. Parrainé par le mouvement «Escola sem partido» («Ecole sans parti»), qui milite depuis de nombreuses années pour réformer le système éducatif et qui figure parmi les principaux soutiens du nouveau président, le texte s'abrite derrière le mot d'ordre d'apparence inoffensive de la neutralité scolaire. En fait, comme l'explique France 24, il s'agit pour ces militants, derrière lesquels on distingue la silhouette menaçante des Eglises évangélistes, d'éradiquer le «marxisme» qui, paraît-il, infeste le corps enseignant brésilien et la «théorie du genre» que l'école inculquerait aux jeunes élèves du pays. Il s'agit aussi, disent ses promoteurs, de rétablir la «vérité historique» sur la dictature militaire qui a gouverné le pays à partir de 1964, pour en gommer les aspects négatifs et célébrer les bienfaits d'un régime qui assurait l'ordre et défendait la tradition. Certains zélateurs d'Escola sem partido annoncent leur volonté d'introduire dans les programmes la vision créationniste de l'univers (pour qui le monde a été créé par Dieu il y a quelques milliers d'années et les espèces animales définies une fois pour toutes), à égalité avec les découvertes de Darwin sur l'origine des espèces. D'autres contestent qu'on présente dans les cours d'histoire le général Pinochet comme un dictateur, ou bien demandent que les sciences sociales et la philosophie soient désormais reléguées au rang de matières optionnelles, conformément au programme de Bolsonaro, pour qui l'enseignement doit se concentrer sur «les mathématiques, les sciences et le portugais». Le projet de loi prévoit des sanctions pénales pour les professeurs coupables de «dogmatisme ou de prosélytisme» et proclame «le droit des parents à ce que leurs enfants reçoivent l'éducation morale qui correspond à leur conviction». Certains au Brésil se rassurent en soulignant que le projet, s'il était adopté, serait rejeté par les juges suprêmes du pays pour non-conformité à la Constitution. Mais beaucoup de professeurs craignent que ces orientations soient surtout le signal d'une «chasse aux sorcières» lancée par le nouveau régime au sein du corps enseignant, pour en extirper ceux qui «pensent mal», c'est-à-dire en conformité avec les préceptes de la science et de la philosophie des droits humains. Les militants d'Escola sem partido demandent déjà que les élèves en désaccord avec leur professeur n'hésitent pas à les filmer pendant leur cours avec leur téléphone portable pour ensuite montrer les images à leurs parents. Bolsonaro lui-même a publiquement justifié cette pratique en déclarant que les professeurs devraient «être fiers» d'être filmés dans l'exercice de leur métier. Promoteur du projet, le député Eder Mauro, impatienté par l'opposition qui demandait qu'on «respecte les professeurs», leur a ordonné de se taire et, comme ils persistaient, a tendu le bras vers eux en faisant mine de leur tirer dessus. Dérapage ? Certes non : le geste mimant un tir au pistolet était l'un des gimmicks récurrents du candidat Bolsonaro pendant la campagne. Quand j'entends le mot culture…