«L’honorable député» Alfred Yekatom regrettera certainement longtemps son coup de sang impulsif à l’Assemblée nationale de Bangui, le 29 octobre. Ce jour-là, en pleine session parlementaire, il s’accroche avec un autre député. Et soudain sort une arme pour le menacer avant de tirer en l’air à deux reprises. Aussitôt, c’est la panique et la débandade. Peu après, il est arrêté. Une vingtaine de jours plus tard, samedi, un petit jet l’attend discrètement à l’aéroport de Bangui. A 13 h 30, il embarque dans le plus grand secret. Direction La Haye aux Pays-Bas où se trouve le siège de la Cour pénale internationale (CPI).
«Rambo» vient de tomber dans les griffes de la justice internationale. Et l'histoire retiendra que cet homme barbu, âgé de 42 ans, est le premier Centrafricain transféré à la CPI. Pas certain qu'il revoie son pays natal de sitôt. «On ne connaît pas encore les charges, elles sont sous scellés. Mais il est vraisemblable qu'il soit accusé de meurtres, pillages et recrutement d'enfants soldats, constitutifs de crimes de guerre et crimes contre l'humanité», estime Pierre Brunisso, qui dirige le bureau local de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH).
Dans l’histoire tourmentée de la Centrafrique, rien ne ressemble à la crise de 2013-2014 émaillée d’innombrables massacres intercommunautaires au nom d’une scission entre chrétiens et musulmans qui n’avait jamais existé auparavant. Et c’est au cours de ces événements tragiques qu’Alfred Yekatom se fait connaître sous le surnom de «caporal Rambo».
«Sous sa tutelle, ses éléments ont semé la terreur, depuis Bangui jusque dans le sud-ouest du pays», rappelle Pierre Brunisso. En réaction à la prise du pouvoir en mars 2013 d'une coalition rebelle, la Seleka, venue du nord du pays, des groupes d'autodéfense prennent les armes. Ce sont les anti-balaka. Mais loin de se limiter à combattre les forces de la Seleka, coupables de nombreuses exactions, ils sèment, eux aussi, la terreur et ciblent très vite la minorité musulmane, tout entière suspectée de complicité avec les rebelles venus du nord musulman.
Inattaquable. C'est durant cette période que Rambo assoit son pouvoir. Il contrôle la plus importante milice anti-balaka de la capitale et règne aussi sur l'axe qui va de Bangui à la petite ville de Mbaïki, 100 km plus au sud. A cette époque, il semble inattaquable. Et bénéficie de nombreux soutiens. Dans un documentaire réalisé par les journalistes français de Cash Investigation et diffusé sur Canal + en 2014, on le voit le 11 décembre 2013 préparer de nuit l'attaque d'un quartier de Bangui. Mais un mystérieux coup de fil l'incite soudain à y renoncer. Face caméra, Rambo explique alors que l'attaque est retardée, car «les Français vont nettoyer le quartier» . Etait-il réellement en lien avec des militaires français ? Difficile à établir, mais arrêté le 23 juin 2014 par les forces de Sangaris, il aurait été libéré peu après sans justification. Reste que le 20 août 2015, les Nations unies l'inscrivent sur la liste des personnes qui «compromettent la paix la stabilité et la sécurité en RCA». Et imposent des sanctions contre lui. On est alors, en principe, sorti du cœur de la crise, même si seule la capitale Bangui retrouve un semblant de normalité fragile.
Rambo, lui, continue à faire peur. Moins d'un an auparavant, fin octobre 2014, n'avait-il pas attaqué à l'arme lourde un commissariat de quartier, libérant tous les détenus, dont son frère ? Les sanctions de l'ONU et les enquêtes de la FIDH comme de la CPI n'ont jamais semblé l'intimider. Après la fin des combats, l'ex-milicien se fera élire député à Mbaïki en mars 2016. Les soupçons d'intimidation d'électeurs inciteront l'Etat à contester sa victoire. Devenu député et entrepreneur, il n'en restait pas moins un ancien haut commandant militaire «à la tête d'un véritable arsenal de guerre, comprenant fusils d'assaut, mines antipersonnel et lance-roquettes», rappelle encore Pierre Brunisso.
«Soulagés». Il aura fallu qu'il commette le geste de trop, en pleine session parlementaire, pour l'arrêter sans crainte de débordements. «Il n'y en aura pas», affirme pour sa part Yves, un jeune Centrafricain, dont un proche a été tué par Rambo, «pour une histoire d'argent». «Les gens dont il assure la sécurité et même ceux qu'il faisait vivre se sentent otages de Rambo. Ils seront soulagés d'être désormais enfin libres», croit savoir ce jeune homme. Les prochains jours montreront si cette analyse se confirme, ou si la ville connaîtra à nouveau une de ces poussées de violence dont elle reste coutumière. «Reste qu'en l'envoyant à La Haye, la CPI et le gouvernement envoient un message fort : il n'y aura plus d'impunité. Et ce geste intervient au moment où les groupes armés, qui tiennent encore 80 % du pays, demandent l'amnistie pour entrer dans le processus de paix», se réjouit Pierre Brunisso. En principe, la Centrafrique bénéficie du soutien judiciaire d'une cour pénale spéciale. Installée sur place, elle devrait bientôt commencer ses enquêtes sur la crise de 2013-2014. Mais saisie en 2014 par la présidente de transition, Catherine Samba Panza, la CPI est également compétente. Et peut se féliciter d'avoir obtenu une belle prise avecRambo.