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Libération

En Grèce, le difficile divorce entre l’Etat et l’Eglise

Malgré l’accord conclu entre Alexis Tsípras et le chef des orthodoxes le 6 novembre, la séparation entre l’Etat grec et sa principale religion reste difficile à accepter pour de nombreux croyants du pays.
Des prêtres orthodoxes, à Athènes le 4 mars. (Photo George Panagakis. Pacific Press. ZUMA.REA)
par Fabien Perrier, Correspondant à Athènes
publié le 21 novembre 2018 à 19h46

Une «guerre sainte» ! C'est ainsi que le quotidien Avgi, propriété de Syriza, le parti de gauche au gouvernement, a défini à sa une, mardi, la bataille qui agite la Grèce en ce moment autour de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Paradoxe, elle a débuté par un «accord historique» conclu le 6 novembre entre Monseigneur Iéronymos, le chef de l'Eglise orthodoxe grecque, et Alexis Tsípras, le Premier ministre. Les dirigeants ont marqué cet accord d'une poignée de mains, filmée et photographiée sous tous les angles. Mais la séquence passe mal dans ce pays où l'article 3 de la Constitution de 1975 - promulguée au nom de la Sainte-Trinité - stipule : «La religion dominante en Grèce est celle de l'Eglise orthodoxe orientale du Christ.» Dans ce cadre, l'accord a tout d'une révolution.

En quinze points, le plan tend à donner «plus d'autonomie à l'Eglise». Ainsi, les membres du clergé ne seront plus considérés comme des fonctionnaires et plus directement payés par l'Etat mais par une caisse gérée de façon indépendante par l'Eglise, dotée d'un fonds annuel de 200 millions d'euros, correspondant au montant actuel des salaires. Les biens de l'Eglise seraient regroupés dans un fonds géré paritairement par l'Eglise et l'Etat. En outre, l'Eglise pourrait être imposée plus justement et s'acquitter de l'impôt foncier sur les biens qui ne sont pas des lieux de culte.

Enfin, Aléxis Tsípras, premier dirigeant grec à prêter serment sur l'honneur et non sur l'Evangile et qui n'est pas passé devant le prêtre avec sa compagne, a proposé d'introduire dans la Constitution la notion d'Etat «neutre» religieusement. C'est un plan «gagnant-gagnant», considère Sotiris Mitralexis, maître de conférences en philosophie et spécialiste des questions religieuses. Il «permet réellement de régler de nombreuses questions en suspens», comme celle de biens que l'Eglise dispute à l'Etat depuis des décennies.

«Atteinte». Les fidèles, eux, bondissent. «C'est un calvaire», s'insurge Maria, 38 ans, l'air contrit, juste avant d'effectuer une génuflexion accompagnée d'un signe de croix répété trois fois. Puis elle s'engouffre dans la cathédrale d'Athènes pour embrasser les icônes. En ressortant du lieu saint, Maria est plus loquace. Pour elle, «l'orthodoxie fait partie intégrante de l'identité grecque. Elle est au cœur de la société. Je pense que Dieu ne nous laissera pas tomber. Il n'y aura pas de séparation de l'Eglise et de l'Etat… C'est mon vœu le plus cher».

Il a paru exaucé vendredi, lorsqu'une réunion de crise du Saint-Synode a bloqué la voie ouverte à la séparation de l'Eglise orthodoxe et de l'Etat grec. Dans cet organe collégial, 73 des 82 évêques ont rejeté l'accord. Le principal motif concerne le changement de statut des prêtres, qui, en Grèce, sont mariés et ont en charge des familles. Inquiets des conséquences sur leurs couvertures sociales et retraites, les prêtres dénoncent la «pire atteinte au droit du travail dans l'histoire récente du pays». C'est une «ligne rouge», estime l'évêque Mgr Chryssostomos sur la très populaire et populiste chaîne Skai. Il juge «inacceptable» et «dédaigneuse» l'attitude du gouvernement.

Boucliers. La politique s'en mêle aussi. Alors que le parti conservateur Nouvelle Démocratie avait initialement salué l'accord, Kyriákos Mitsotákis, son chef de file, dénonce désormais «l'exploitation du chef de l'Eglise à des fins électoralistes» par Aléxis Tsípras. L'accord s'est transformé en «patate chaude» entre les mains du gouvernement, selon le quotidien Ethnos. «Le Premier ministre a lancé un ballon d'essai : ce n'est pas un accord, mais une promesse d'accord», tempère Stavros Zouboulakis, le président de la Bibliothèque nationale de Grèce. Ce spécialiste d'études bibliques pressent que «les anciens prêtres resteront sous le statut antérieur, les nouveaux seront recrutés par l'Eglise directement.» Une telle issue pourrait mettre fin à la crise que traverse la Grèce.

En réalité, le pays est secoué à chaque fois qu’un gouvernement touche à l’Eglise. En 1982, le Pasok, parti du social-démocrate Andréas Papandréou, avait essuyé une levée de boucliers des prêtres en introduisant le mariage civil. En 2000, l’Eglise orthodoxe s’est mobilisée contre la suppression de la mention de la religion sur la carte d’identité. En 2009, elle a contesté Nouvelle Démocratie quand le parti conservateur a aboli l’obligation des cours de religion orthodoxe.

Mais à chaque fois, malgré les manifestations, les changements ont fini par être appliqués. Cette fois, Aléxis Tsípras peut arguer qu’il respecte une promesse de campagne… Et selon les sondages, 55 % de la population au moins est favorable à ce que cette étape soit franchie. La décision finale sera actée lors du vote à l’Assemblée, d’ici trois à quatre mois.