Le dernier recensement de la population en république démocratique du Congo (RDC) date de 1984. A l'époque, les services du président Mobutu avaient compté 30,7 millions d'habitants. Aujourd'hui, plus personne ne connaît le nombre de personnes vivant dans le plus vaste pays d'Afrique subsaharienne. Les estimations des démographes varient entre 80 et 85 millions. La moitié est appelée à voter le 23 décembre. Après deux années de report, le président Joseph Kabila, arrivé au pouvoir il y a près de dix-huit ans, a finalement consenti à la tenue du scrutin. Il a par la même occasion annoncé qu'il ne se représenterait pas, empêché par la limite constitutionnelle des deux mandats.
Certes, il a désigné un dauphin, son ex-ministre de l'Intérieur Emmanuel Ramazani Shadary, qui bénéficiera de la puissante machine électorale du Front commun pour le Congo (FCC) construite par le chef de l'Etat. Certes, l'opposition dénonce déjà un fichier électoral vérolé (elle demande le retrait de 6 millions de noms inscrits sur les listes sans recueil des données biométriques) et se méfie des «machines à voter» (des écrans tactiles qui impriment les bulletins) commandées à une société sud-coréenne. Certes, les candidatures des poids lourds Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba ont été invalidées, le premier ayant été empêché de rentrer au pays, le second ayant été condamné par la CPI pour subornation de témoins. Il n'empêche : une partie des Congolais rêve que cette élection présidentielle consacre la première alternance démocratique de l'histoire du pays.
Volte-face
Le premier écueil, pour l'opposition, sera sa division. Après trois jours de tractations secrètes dans un hôtel de Genève, ses sept principaux candidats avaient réussi la prouesse historique de s'accorder sur le nom d'un représentant unique, le 11 novembre : Martin Fayulu, considéré comme le plus petit dénominateur commun, avait été désigné à la surprise générale. Mais le pacte a tenu moins de vingt-quatre heures. Les favoris (1) Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe se sont désolidarisés «sous pression de leur base», expliquent-ils. Les deux hommes pourraient en revanche se présenter ensemble sur un «ticket» dans les prochains jours, annonce l'Agence France Presse.
Trois blocs se dessinent donc dans cette élection. Le successeur Shadary, 57 ans, poussé par l’impénétrable président Kabila. Le «candidat commun» Martin Fayulu, 62 ans, peu connu et affaibli, mais soutenu par de puissants parrains (notamment Katumbi et Bemba). Et le duo d’opposants Tshisekedi-Kamerhe, 55 et 59 ans, qui dispose d’une base électorale très mobilisée mais difficilement extensible, surtout après leur volte-face. Dans cette configuration en triangle, le mode de scrutin, majoritaire à un tour, devrait desservir l’opposition.
Tueries
Le déroulement de la campagne, qui débute officiellement aujourd'hui, peut encore faire bouger les lignes. Pendant un mois, les 21 candidats officiels seront-ils libres de se déplacer, de tenir des réunions publiques, de s'exprimer dans les médias ? Samedi, trois militants du parti présidentiel ont été assassinés dans la région instable du Kasaï. 1 200 kilomètres plus à l'Est, au Kivu, plus de 700 civils ont été massacrés dans des tueries attribuées au groupe rebelle Allied democratic force ces quatre dernières années. Depuis septembre, leurs attaques se multiplient dans la zone, tandis que l'OMS peine à y contenir une épidémie d'Ebola. Or en RDC, chacun sait que les périodes électorales sont propices au chaos. «Que le meilleur gagne», a lancé le président de la commission électorale ce jeudi, en appelant les concurrents au «débat d'idées» et «à la courtoisie».
(1) Selon un sondage de la fondation Berci et du groupe d'étude sur le Congo de l'université de New-York, publié en octobre 2018. Il a été réalisé du 29 septembre au 15 octobre, auprès de 1 179 personnes âgées de 18 ans et plus, réparties dans les 26 provinces du pays.