Carlos Ghosn vient d'écoper de dix jours supplémentaires. A la demande du parquet de Tokyo, le juge a accepté de prolonger la garde à vue du patron de Renault-Nissan-Mitsubishi jusqu'au 10 décembre. Cela fera donc une vingtaine jours passés dans une petite cellule au nord de la capitale nippone depuis son arrestation surprise le 19 novembre.
De tels délais peuvent surprendre en France où la garde à vue dure 24 heures, renouvelables jusqu'à 96 heures (144 en matière de terrorisme). «La garde à vue au Japon ressemble davantage à la détention provisoire à la française», explique Kazumasa Akaike, de l'université de Ryûkoku à Kyoto. Ce n'est toutefois pas une détention provisoire car à ce jour, Carlos Ghosn n'est pas inculpé. «Trois premiers jours de détention sont accordés pour laisser le temps à la police (deux jours) et au procureur (un jour) de prendre une décision, reprend Kazumasa Akaike. Puis le juge peut opter pour dix jours de détention – dans les faits, la demande est acceptée dans 96,4% des cas – puis renouveler ces dix jours une fois.» Soit un total de 23 jours maximum.
Des mois en garde à vue
A l’issue de cette détention, si le suspect est mis en examen, il est soit incarcéré, soit libéré sous caution. Mais il peut aussi être arrêté à nouveau, sous un autre motif. Et c’est ainsi reparti pour dix jours de détention renouvelables une fois. Carlos Ghosn est actuellement détenu pour le seul motif d’accusation de dissimulation de revenus. Vu les faits qui lui sont reprochés selon la presse japonaise, il pourrait parfaitement être arrêté pour une raison différente et répéter le cycle plusieurs fois.
Il est donc possible de rester des mois en garde à vue au Japon. L’activiste Hiroji Yamashiro, qui milite contre la présence des bases américaines à Okinawa, a été incarcéré cinq mois, entre octobre 2016 et mars 2017, après de simples actes de désobéissance civile. Plus récemment, Yasunori Kagoike et sa femme Junko Kagoike, personnages clés du scandale de trafic d’influence Moritomo dans lequel le nom du Premier ministre Shinzo Abe a été évoqué, ont passé près de dix mois en détention de 2017 à 2018.
Forcer des aveux
Officiellement, ces détentions viseraient à empêcher un suspect de fuir le pays ou de détruire des preuves. Cependant, même au Japon, des critiques ont été émises sur le fait que ces périodes de détention sont un moyen de forcer les suspects à passer aux aveux après les heures d’interrogatoires menés par les procureurs.
«La détention peut sembler d'autant plus longue qu'elle se fait dans des conditions scandaleuses au regard de la loi française», analyse Kazumasa Akaike. Au Japon, les suspects sont privés de famille. Ils n'ont le droit de recevoir ni coup de fil ni mail. Une seule visite par jour est autorisée et elle est limitée à quinze minutes. Les échanges doivent se faire sous la surveillance d'un policier et en japonais uniquement. En l'occurrence, Carlos Ghosn ne maîtrise pas cette langue, sa femme non plus.
«Surtout, pendant une garde à vue en France, le suspect reste dans les locaux de la police et est interrogé par des agents de police. Un avocat peut assister aux interrogatoires. Carlos Ghosn vit dans une maison d'arrêt et est interrogé par le procureur, sans la présence d'un avocat.» Au Japon, ce dernier n'a pratiquement pas accès à son client du fait du nombre limité de visites, et le dossier ne lui est pas communiqué. Ce n'est qu'une fois inculpé, et transféré en prison, que le détenu a droit aux rencontres et à l'assistance de son avocat.
Jeudi à Tokyo, le procureur Shin Kukimoto s'est défendu de maintenir Carlos Ghosn trop longtemps en détention. «Le Japon est un pays respectueux des lois et c'est ainsi que fonctionne notre système de justice. Je ne vois pas de problème à cela, a-t-il déclaré. Chaque pays a sa propre histoire et sa culture… Il n'est pas approprié de critiquer un système dans un autre pays simplement parce qu'il est différent du vôtre.» «Mais les droits de l'homme n'ont pas de frontières, tacle Kazumasa Akaike. Seuls les procureurs veulent préserver ce système qui déroge aux dispositions de l'ONU sur le traitement minimal accordé aux détenus.»