«Jeb, Neil, Marvin, Doro et moi avons la tristesse d'annoncer qu'après 94 années remarquables notre cher papa est mort.» C'est ainsi que son fils George W. Bush, qui lui succéda à la Maison Blanche quelques années plus tard, a annoncé vendredi soir dans un communiqué publié sur Twitter la mort de George H.W. Bush président des Etats-Unis de 1989 à 1993.
«Il s'est retrouvé embrigadé comme chef du monde libre, sans avoir rien fait pour cela», décrit l'historien Romain Huret, directeur du Centre d'études nord-américaines à l'EHESS. George H. W. Bush, un sourire affable toujours aux lèvres, n'a pas marqué l'histoire des Etats-Unis pour son interventionnisme autant intérieur qu'extérieur. Connu pour son manque d'exubérance, le père Bush a surfé sur la popularité de Ronald Reagan, monstre politique pour les Américains, porteur du libéralisme sauvage, pour se faire élire. Avant cela, l'ancien acteur de cinéma et télévision l'avait pris sous son aile, en le nommant vice-président de 1981 à 1989.
Un démarrage difficile
Pourtant fort d’un impressionnant CV – ambassadeur à l’ONU pour les Etats-Unis, ambassadeur en Chine, directeur de la CIA – George H. W. Bush a peiné à percer lors de la campagne présidentielle de 1988. Il affrontait Michael Dukakis, candidat peu percutant d’un parti démocrate qui n’avait pas encore vécu le virage centriste des Clinton.
Après un démarrage difficile et à l'étonnement de beaucoup, Bush s'est transformé, dans les derniers mois avant l'élection, en bête de scène, clamant haut et fort les valeurs de la droite conservatrice et parcourant, en bras de chemise, les campagnes américaines. «Travail, famille, religion, communauté.» Lui qui s'était toujours positionné comme un modéré au sein de son parti, le voilà le légitime héritier de la politique conservatrice et libre-échangiste de Reagan. Celui qui promettait «une plus gentille et plus douce Amérique» finira par écraser son adversaire avec six points d'avance.
Mais, une fois au pouvoir, Bush reprend ses vieilles habitudes – il avait alors 64 ans – et sa figure d’aristocrate désuet, à l’aise uniquement dans son luxueux domaine de famille à Kennebunkport, dans le Maine. Né d’un père banquier millionnaire devenu sénateur du Connecticut, marié à l’héritière d’une famille de propriétaires de journaux, George Bush a vécu une vie de luxe tranquille.
Lors de son élection en 1988, sa sœur témoignait: «Il ne faut pas croire que nos parents nous ont gâtés. Ils étaient très exigeants: il fallait toujours rentrer nos raquettes quand il pleuvait.» Capitaine de l'équipe de baseball, membre d'une fraternité à l'université de Yale pendant ses études d'économie, George Bush a ensuite fait carrière dans l'industrie pétrolière au Texas, avant de s'engager dans la vie politique.
Dans les pas de Reagan
Petite parenthèse dans ce long fleuve tranquille, George Bush s’engage, à 18 ans, dans les forces armées et mènera 58 missions de combat pendant la Seconde guerre mondiale. Lors d’une sortie au-dessus du Pacifique, il fut touché par des tirs antiaériens, puis secouru par un sous-marin, seul survivant de son appareil.
Ces actions lui valurent d’être décoré de la Distinguished Flying Cross. A la sortie de la guerre, en janvier 1945, il se marie avec Barbara Pierce, jeune femme issue du même milieu huppé. Ils auront ensemble six enfants: George (futur président), Robin (mort enfant), John dit Jeb (candidat à la primaire républicaine face à Trump), Neil, Marvin et Dorothy. Ils resteront mariés 73 ans, jusqu'à la mort de Barbara en avril dernier.
A la Maison Blanche, George Bush poursuivit un troisième mandat pour Reagan. Seul fait d'armes marquant, la première guerre du Golfe. Sept mois après l'invasion du Koweït par le dictateur irakien, Saddam Hussein, le président annonça à 21 heures, le 27 février 1991, la fin des combats. «Le Koweït était libéré. L'armée irakienne défaite. Le Koweït est à nouveau aux mains des Koweïtiens», lançait le président. Une belle revanche pour les Américains, après l'échec au Vietnam.
Saddam Hussein, vaincu lors d'une «guerre de cent heures», rendit sa place à George Bush dans le cœur des Américains. Sa cote de popularité bondit à 90%. Le commandant en chef parle alors de «nouvel ordre mondial». Le mur de Berlin est tombé, la guerre froide est finie. «Devant nous, il y a la tâche difficile d'assurer une paix potentiellement historique, proclame le président, triomphant. Dans le futur, comme auparavant, nous consulterons nos partenaires de la coalition. […] Il ne peut y avoir et il n'y aura pas de réponse uniquement américaine à tous ces défis.»
Presque muet
Mais la lune de miel est de courte durée, car pointait déjà la partie cachée de l'iceberg: le non-interventionnisme latent de l'administration Bush dans les affaires intérieures. Reagan avait déjà laissé à son ami des infrastructures dégradées, un système financier fragile. Bush, après lui, resta presque muet sur les problèmes sociaux du pays: crise urbaine, intensité des oppositions raciales, délabrement de l'éducation secondaire. Il défendait une économie de marché «libérée» et «voulait laisser aux entreprises le soin de mener l'avenir de la nation. Lui qui avait traité le libre-échangisme de Regan d'"économie vaudou" en 1980», détaille Romain Huret.
Son style détonnait autant avec celui de son prédécesseur, qu'avec celui de Bill Clinton, ou même de son fils qui sera élu en 2001 à la présidence. Entre les deux George Bush, c'est le jour et la nuit. «Le fils avait un vrai programme, une idéologie de l'interventionnisme. Le père a plutôt accompagné l'histoire, continue le chercheur. Certains analystes américains voient dans la ferveur de Bush Junior à intervenir en Irak, une volonté d'accomplir ce que son père n'avait pas mené jusqu'au bout: faire tomber Saddam Hussein.»
Pour Hillary
En 1992, un an pourtant après sa victoire au Koweït, George Bush père perdra la face devant le jeune et énergique Bill Clinton, lors d’une élection qui vit l’émergence d’un parti démocrate plus modéré. Le républicain se met alors en retrait de la vie politique, même pendant les deux mandats de son fils. Il souffre d’une série de problèmes de santé, notamment de difficultés respiratoires qui le mènent à l’hôpital à plusieurs reprises. Peu rancunier envers la famille Clinton, il a laissé dire, pour la présidentielle de 2016 qu’il voterait pour Hillary.
«Donald Trump va beaucoup trop loin pour lui. Son fils déjà allait très loin», analysait Romain Huret. Barack Obama l'avait salué, lors de sa dernière conférence de presse en tant que Président: «[Les Bush] ont, non seulement dédié leur vie au pays, mais ils ont été une source constante de soutien et de bons conseils pour Michelle et moi.»
Dans un communiqué, Donald Trump a salué samedi matin le «leadership» du 41 président des Etats-Unis: «A travers son authenticité, son esprit et son engagement inébranlable en faveur de la foi, de la famille et de son pays, le président Bush a inspiré des générations de concitoyens américains.»