Menu
Libération
WHO RUN THE WORLD

«Implant Files», prix littéraires, jeu de société féministe : novembre dans la vie des femmes

Un mois dans la vie des femmesdossier
Le jeu féministe «Who's She ?» ; Natacha, victime de l'implant Prolift, interrogée par «Cash Investigation» ; Valérie Manteau, prix Renaudot ; un affichage sur le consentement à Dublin, en Irlande. («Who's She ?» / Playeress, France 2/ Cash Investigation et AFP)
publié le 2 décembre 2018 à 9h31

Chaque mois, Libération fait le point sur les histoires qui ont fait l'actualité des femmes, de leur santé, leurs libertés et leurs droits. Trente-neuvième épisode : novembre 2018. Si vous avez manqué l'épisode précédent, il est ici (et tous les autres sont là).

Santé

«Implant Files», le calvaire des femmes mis au jour

Elle compare ses douleurs à des «coups d'électricité», des souffrances semblables à des «rages de dents». En cause : une prothèse vaginale, appelée Prolift. Natacha, qui a témoigné dans l'émission Cash Investigation diffusée sur France 2 fin novembre, est l'une des victimes du scandale des dispositifs médicaux révélé par le Consortium international des journalistes d'investigation. Baptisée «Implant Files», cette vaste enquête met en lumière les défaillances des dispositifs de surveillance avant la mise sur le marché de ces implants et autres prothèses. Les femmes sont en première ligne : comme Natacha, chaque année, environ 50 000 patientes se font opérer pour poser une prothèse vaginale, destinée à pallier des problèmes d'incontinence ou de descente d'organes via un filet synthétique qui soutient la vessie. Dès l'implantation, la prothèse a fait souffrir Natacha. Depuis, elle est en invalidité et doit rester allongée pour tenter de limiter la douleur, qu'elle essaye de juguler à coups d'opiacés, sans parler de sa vie intime, devenue inexistante.

Cathy aussi s'est vue proposer cette méthode en 2010, deux ans avant que le dispositif ne soit retiré du marché. Agée de 60 ans, elle raconte elle aussi les douleurs à chaque fois qu'elle urine, si fortes qu'elles la font pleurer, jusqu'à, parfois, l'évanouissement. La sexagénaire avait déjà raconté son calvaire à l'Obs l'année dernière, à l'occasion de la première vaste enquête française sur les prothèses vaginales. «Je n'ai jamais eu le courage de me suicider, mais j'espérais très fort ne pas me réveiller le lendemain», lâchait-elle alors. «Effectivement, les premières patientes, on peut dire que ce sont des cobayes, des gens qui essuient les plâtres des innovations […]. Mais comment l'éviter ?» a réagi le professeur Bernard Jacquemin, médecin français qui a contribué à l'élaboration de la prothèse, interrogé par Cash Investigation. Outre les prothèses vaginales, les implants mammaires sont aussi dans le viseur de l'enquête, notamment ceux, texturés, accusés de causer des lymphomes. La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a reconnu dans un entretien au Monde que la réglementation encadrant ces dispositifs médicaux était «insuffisamment robuste» et a assuré travailler à son amélioration.

En novembre, on a aussi appris le report de l'examen du projet de loi sur l'ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes. Le texte ne sera examiné qu'après les élections européennes. Libé s'est aussi penché sur une étude qui pointe la prise en charge problématique des femmes en surpoids ou obèses par les gynécos lorsqu'elles consultent pour des difficultés à procréer.

Corps, sexualité

Culpabilisation des victimes de viol : le string de la colère

Dans les rues, sur les réseaux sociaux, et jusqu'au Parlement irlandais : ces dernières semaines, le string a été brandi un peu partout comme un symbole de la culpabilisation récurrente des victimes de viol. Tout a débuté le 6 novembre, lors du procès à Cork (Irlande) d'un homme de 27 ans poursuivi pour viol sur une jeune fille de 17 ans. A la fin de l'audience, l'avocate de l'accusé, Elizabeth O'Connell, a lancé aux jurés à propos de la victime : «Regardez comme elle était habillée. Elle portait un string très échancré.» Et de suggérer qu'elle était «partante pour rencontrer quelqu'un». A l'issue de 90 minutes de délibéré, l'accusé a été relaxé. Cette affaire a suscité l'ire de nombreuses féministes irlandaises, comme le relate le quotidien britannique The Guardian : des strings ont été déposés sur les marches du tribunal de Cork, puis dans les rues de Belfast, pour enfin faire une apparition remarquée à la Chambre des députés irlandais, à Dublin, le 14 novembre. «Cela peut sembler gênant d'exhiber un string ici», a entamé l'élue Ruth Coppinger. «Que ressent, selon vous, une victime de viol ou une femme, tout simplement, lorsque sont évoqués ses sous-vêtements, de manière complètement inappropriée, dans un tribunal ?» a-t-elle questionné.

La colère s'est étendue ensuite sur les réseaux sociaux : des milliers de femmes à travers le monde ont publié des photos de leur lingerie, accompagnées du hashtag #ThisIsNotConsent («cela ne signifie pas que l'on consent»), slogan aperçu dans diverses manifestations féministes à travers le monde. Preuve, si besoin était, de la persistance d'une culture du viol encore très ancrée.

Sexisme ordinaire

Prix littéraires : les écrivaines toujours aussi peu récompensées

Valérie Manteau pour le Sillon et Anna Hope pour la Salle de bal : comme l'année dernière, les prix littéraires n'ont récompensé que deux écrivaines cet automne, contre neuf hommes. Une absence de parité qui ne date pas d'hier : depuis sa création en 1903, le prix Goncourt n'a primé que 10% de femmes, montre le Monde dans une série d'infographies très parlantes. Au total, les autrices françaises n'ont reçu que 161 des 740 prix décernés en plus d'un siècle. Elles ont même été totalement absentes du palmarès à plusieurs reprises ces dernières années (en 2003 et 2008 par exemple), alors même que les femmes représentent aujourd'hui 36% des auteurs publiés.

La faute à la composition des jurys, essentiellement masculins ? Pas forcément : le prix Femina, au jury 100% féminin, n'a récompensé que deux femmes ces dix dernières années. Interrogé par France Culture, l'historien Jean-Yves Mollier voit plutôt dans cette hégémonie masculine une énième manifestation de l'invisibilisation des femmes dans la littérature et ses institutions (Académie française, Pléiade, œuvres littéraires étudiées en classe…). Mais les mentalités évoluent peu à peu : «Cette année, dans la première sélection pour le Goncourt, il y avait quatre primo-romancières», rappelle dans 20 Minutes la sociologue Cécile Rabot, qui souligne que même si l'effet sur les ventes n'est évidemment pas comparable avec l'obtention du prestigieux prix, cela peut pousser les libraires à mettre en avant les écrivaines sélectionnées, et à les faire connaître du public.

En novembre, Libé a interviewé les autrices de Des femmes en littérature : 100 textes d'écrivaines à étudier en classe, premier manuel scolaire de français à mettre en lumière exclusivement des écrivaines et le P'tit Libé a demandé à la philosophe Geneviève Fraisse pourquoi les petits garçons ne sont pas autorisés à pleurer.

Violences

De nouvelles victimes témoignent contre Luc Besson

Elles sont désormais neuf femmes à accuser le producteur et réalisateur français Luc Besson de «comportements sexuels inappropriés». En mai déjà, Mediapart révélait l'existence d'une plainte pour viol visant le mastodonte du cinéma français, déposée par une actrice de 27 ans qui assure avoir été droguée puis abusée sexuellement. Dans une nouvelle enquête parue le 28 novembre, le site d'investigation publie cinq nouveaux récits mettant en cause Luc Besson.

Parmi eux, celui d'Ananda (un prénom d'emprunt), ex-assistante du cinéaste au sein d'EuropaCorp, sa société de production. Elle assure avoir eu trois relations sexuelles non consenties avec celui qui était son supérieur hiérarchique dans les années 2000, période où sa situation personnelle la rendait vulnérable. Elle estime que Luc Besson a «opéré un chantage pour la mettre dans son lit» et assure qu'il a eu à plusieurs reprises des gestes déplacés à son égard, la mettant sur ses genoux ou l'embrassant. C'est aussi ce que décrit une femme désormais quadragénaire et qui fut autrefois stagiaire au sein de cette même société de production : «Il débarquait pour son câlin du matin, demandait toujours "un petit bisou". Vous avez 22 ans, vous lui faites un bisou sur la joue, il en profitait pour passer une main sous mon tee-shirt, sur le ventre», raconte-t-elle. Ces agressions, sont, selon Mediapart, autant de détails qui reviennent dans les différents récits des femmes accablant le réalisateur. L'intéressé n'a pas souhaité répondre à Mediapart.

En novembre, Libé a également assisté au procès du trompettiste Ibrahim Maalouf, condamné à quatre mois de prison avec sursis pour agression sexuelle sur mineure ; s'est intéressé à l'histoire d'une ex-hôtesse du Parc des Princes, dont les CDD n'auraient pas été renouvelés après qu'elle a dénoncé des faits de harcèlement sexuel. Face à ce type d'agissements, certaines universités se dotent d'ailleurs de cellules d'écoute, mais au compte-gouttes. Libé a fait le point sur ce dispositif encore balbutiant. Côté judiciaire, on s'est également penché sur le viol conjugal, qui demeure largement tabou, à l'occasion d'un procès en appel, ainsi que sur la condamnation de cinq prévenus pour insultes sexistes à l'égard d'une militante. Tariq Ramadan, accusé de violences sexuelles, a pour sa part été remis en liberté, tandis que l'ex-maire de Draveil, Georges Tron, accusé de viols, a été acquitté, même si le parquet a fait appel.

Libertés

Un «Qui est-ce ?» féministe pour inspirer les petites filles (et les autres)

Détourner un grand classique des jeux de société pour mettre à l'honneur les vies de femmes qui ont marqué l'histoire : c'est l'idée de Zuzia Kozerska-Girard, créatrice de Who's She ?, projet de jeu lancé sur la plateforme Kickstarter en novembre et repéré notamment par Numerama. Sur chacun des 28 petits panneaux rabattables en bois figure le nom et le portrait d'artistes, inventrices, exploratrices ou encore scientifiques : Malala Yousafzai, Marie Curie, Frida Kahlo, Joséphine Baker… Un socle dévoile des indices biographiques supplémentaires, pour permettre aux joueurs et aux joueuses de mieux connaître leurs vies, et de deviner le personnage choisi par l'adversaire. Contrairement au Qui est-ce ? dont il est inspiré, les joueurs doivent poser des questions non pas sur l'apparence de ces personnages, mais sur leurs accomplissements («est-ce qu'elle était peintre ?», «est-ce qu'elle a eu le prix Nobel ?»), histoire de «montrer que les filles peuvent tout faire». L'idée a séduit, puisqu'en quelques jours, la créatrice a récolté 300 000 euros, vingt fois plus que les 15 000 initialement prévus. Le jeu devrait être disponible en français à partir de février via la plateforme de financement participatif.

En novembre, Libé a largement chroniqué la féminisation du Congrès américain après les midterms, marqués notamment par l'élection de la plus jeune représentante de l'Assemblée, et suivi, de notre côté de l'Atlantique, la marche contre les violences faites aux femmes, qui a rassemblé plus de monde que la manifestation des «gilets jaunes» dans la capitale. Vous avez aussi pu lire dans Libé une tribune sur l'anarcho-féminisme, un focus sur des femmes photographes exposées à la foire Paris Photo, une infographie sur le rugby féminin, un retour sur le traumatisme vécu par Maria Schneider sur le tournage du Dernier Tango à l'occasion de la mort de Bertolucci et sur l'acquittement par la justice pakistanaise d'Asia Bibi, devenue symbole de la défense des droits humains face à l'extrémisme.

Travail

Un testing montre l’ampleur des discriminations sexistes à l’embauche

Chauffeur-livreur, jardinier, mécanicien… Mieux vaut être un homme pour être recruté dans l'un de ces jobs. La Fondation des femmes a mené un testing sur des offres d'emploi dans des secteurs à dominante masculine, pour vérifier les biais sexistes à l'embauche. Résultat, une candidate a en moyenne 22% de chances de moins qu'un candidat de se voir proposer un entretien. Un chiffre qui grimpe même à 35% pour la profession de chauffeur-livreur. Les auteurs de l'étude, menée en collaboration avec l'Observatoire des discriminations de la Sorbonne et relayée notamment par France Inter, ont envoyé un millier de CV similaires (même formation, mêmes expériences…) de deux faux demandeurs d'emploi, Julie et Thomas. Ce dernier a été recontacté 168 fois, contre 131 fois pour son homologue féminine. Une «différence de traitement» qui entraîne «une barrière à l'intégration des femmes dans certains métiers», conclut le testing. Paradoxal quand on sait que les métiers qui écartent les profils féminins sont en tension, et cherchent à recruter, souligne la Fondation des femmes, qui rappelle que la discrimination à l'embauche est passible de trois ans de prison et de 45 000 euros d'amende.

En novembre, Libé a aussi parlé de la maltraitance subie par les étudiantes infirmières, relatée dans un ouvrage sorti à la rentrée, et du mouvement du #6Novembre15h35, qui dénonce les écarts de salaires femmes-hommes.

Vie privée, famille

Sur Twitter, une interne dénonce le manque d’implication des pères à l’hôpital

«J'ai pas le carnet de santé, ma femme me l'avait pas préparé.» Le compte Twitter «Charge mentale pédiatrie», lancé par une interne en médecine générale en région parisienne, compile une cinquantaine d'anecdotes du même genre, entendues aux urgences pédiatriques. Symptômes, antécédents, téléphone du pédiatre… Les dialogues, souvent désolants, sont révélateurs de l'incompétence de certains pères dès que la santé de leur progéniture est concernée. Souvent, ils renvoient les soignants vers leur compagne, sur laquelle repose cette (énième) responsabilité. «Lisez, sa mère m'a écrit un texto qui explique tout», sort ainsi le père d'une petite fille de 15 mois en tendant son portable.

Une réalité confirmée par les statistiques : selon l'Insee, les femmes effectuaient en 2010 65% des tâches parentales, et consacraient deux fois plus de temps aux soins aux enfants, rappelle le magazine Néon. L'initiatrice du compte, qui préfère rester anonyme, dit avoir voulu «donner un exemple concret» de cette charge mentale qui pèse sur les mères. A l'hôpital, elle tente de faire un peu de pédagogie auprès des parents, en apprenant par exemple aux pères à faire les lavements de nez. «La plupart de ces pères ne sont pas de mauvaise volonté, ils n'ont simplement eu que onze jours auprès de leur enfant», estime la jeune femme, interrogée par le Huffington Post, qui plaide pour un allongement du congé paternité.

Choses lues, vues et entendues ailleurs que dans «Libé»

• Le clitoris en 3D, c'est elle : Slate a rencontré la chercheuse Odile Fillod, qui a modélisé en 2016 l'organe en taille réelle, pour aider les femmes à mieux connaître cette partie de leur anatomie. Son portrait est à lire ici.

• Dans Debunking The Bump, la mathématicienne et mère de trois enfants Daphne Adler démonte quelques-uns des interdits qui pourrissent la vie des femmes enceintes, souvent disproportionnés par rapport aux dangers encourus. Cheek Magazine en parle ici.

• La magazine féministe en ligne a aussi assisté à la formation des policiers qui répondent aux victimes sur la nouvelle plateforme gouvernementale de signalement des violences sexistes et sexuelle. C'est à lire juste là.

• A l'occasion de la tuerie de Tallahassee en Floride, Vincent Glad, également chroniqueur à Libé, revient dans Brain Magazine sur ces hommes misogynes qui décident de tuer des femmes parce qu'elles sont des femmes, un terrorisme masculiniste glorifié sur certains forums.

• Dans le podcast Entre nos lèvres, Laëtitia, 31 ans, revient sur son expérience des violences conjugales. Un témoignage poignant et rare, qui peut être difficile à écouter.

• «Beaucoup de garçons nous prennent pour des filles énervées» : dans le Figaro Madame, des étudiantes féministes de grandes écoles témoignent de la difficulté à se faire entendre de leurs camarades et de leurs professeurs.

• En partant de l'Instagram d'Emily Ratajkowski, l'humoriste Marina Rollman s'interroge sur l'objectivation du corps des femmes et l'inégalité devant l'orgasme, et c'est très drôle.

• On termine avec un documentaire, réalisé par trois jeunes journalistes et consacré aux règles. Il s'appelle 28 jours, est disponible en intégralité sur YouTube, et on vous le recommande.