Menu
Libération
Décryptage

Avec Vox, l’extrême droite espagnole redonne de la voix

Ultraconfidentielle depuis le franquisme, l’extrême droite a connu son premier grand succès en Espagne, dimanche, faisant son entrée au Parlement andalou.
publié le 3 décembre 2018 à 20h26

«Le tremblement de terre andalou.» C'est l'expression utilisée par plusieurs médias pour décrire l'énorme surprise électorale. Dans cette région la plus peuplée et la plus socialement fragile du pays, bastion socialiste depuis près de quarante ans, l'extrême droite a fait irruption avec fracas. Aucun observateur n'a eu besoin de se fendre d'une analyse. Tous les Espagnols ont compris que le nouveau panorama andalou n'était qu'un avant-goût de ce qui se prépare à l'échelle du pays : ultraconfidentielle depuis la fin du franquisme, l'extrême droite a émergé de façon durable. «Il faudra désormais compter avec elle, analyse le journal conservateur ABC. Personne n'avait vu les signes avant-coureurs de cette déflagration qui ne fait que commencer.»

Pourquoi est-ce un séisme électoral ?

Traditionnellement, l'Andalousie, avec ses 8 millions d'habitants, était un fortin socialiste, terre d'origine de Felipe González, mentor du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) et chef du gouvernement de 1982 à 1996. Les analystes s'attendaient donc à ce que la présidente sortante, la socialiste Susana Díaz, affermisse sa domination sur cette région d'ordinaire étrangère aux extrémismes. Or, non seulement son parti a connu une hécatombe en chutant de 47 sièges à 33, mais il a permis une montée inédite des droites. En particulier des libéraux de Ciudadanos, qui passent de 9 à 21 députés. Et, bien davantage encore, des extrémistes de Vox, qui n'ont pourtant pas de racines en Andalousie. Leur leader local, Francisco Serrano, est un juge qui s'est fait connaître pour ses attaques contre le «fondamentalisme féministe» et a été condamné pour prévarication en 2011.

Le succès de Vox est-il contestataire ?

C'est la clé de son irruption au sein du Parlement andalou, passé de zéro à douze sièges, avec près de 400 000 votes. Francisco Serrano a résumé ce score ainsi : «Vox est le parti des indignés.» L'expression illustre bien l'évolution électorale : jusqu'alors, Podemos était l'indiscutable formation des sans-voix et des contestataires espagnols. Le parti de Pablo Iglesias avait su fédérer cette révolte née du mouvement des «indignés». Dans les urnes andalouses, le parti stagne toutefois à 17 sièges.

«On n'a pas voulu voir la profonde colère, explique l'analyste Teodoro Gross. La gauche radicale de Podemos a perdu de sa représentativité. La droite radicale de Vox, sans scrupule ni complexe, se connecte davantage avec un ras-le-bol et une désorientation considérables.»

Comment expliquer une telle progression ?

A l'image de son leader, Santiago Abascal, un «patriote» farouchement opposé aux nationalistes catalans et basques, Vox n'était jusqu'ici présent dans aucun parlement espagnol - ni la Chambre des députés à Madrid, ni aucun des 17 hémicycles régionaux. A chaque élection, on avait coutume de dire, en substance : «Le vaccin du franquisme continue d'opérer.» Comme le Portugal, l'Espagne était cette drôle de nation demeurant imperméable aux vents mauvais des populismes d'extrême droite qui soufflaient sur l'Europe. Mais, depuis l'été, un manifeste de «100 mesures pour une Espagne vive» ainsi qu'un meeting madrilène plein à craquer de Santiago Abascal en octobre ont changé la donne. Les instituts de sondage n'ont pas tardé à créditer les extrémistes de 3 % des suffrages. Véhémentes et simplistes, les mesures préconisées par Vox commencent à faire mouche auprès d'un certain électorat : suppression des subventions pour les organisations féministes, expulsion de tous les sans-papiers, construction de «murs infranchissables» à Ceuta et à Melilla (deux enclaves au Maroc), suppression de tous les parlements régionaux au profit d'une recentralisation du pays…

L’indépendantisme catalan a-t-il joué ?

L'énorme tension vécue l'an dernier, lorsque les leaders séparatistes ont organisé, le 1er octobre, un référendum illégal et interdit, a provoqué des blessures dans le sentiment patriotique de beaucoup. «On a eu l'impression que la nation n'était pas défendue par ceux qui devaient nous défendre et que des sécessionnistes bien organisés pouvaient dynamiter l'unité espagnole, souligne le controversé journaliste radio Federico Losantos. A mon sens, l'irruption de Vox dit clairement que beaucoup ont voté contre la tyrannie de la bien-pensance politique.» A cela, il faut ajouter l'efficacité d'une très agressive campagne des dirigeants de Vox sur les réseaux sociaux autour de ce slogan : «Tu fais partie de Vox et tu ne le sais pas encore». Une certitude : le tocsin andalou affaiblit considérablement le chef du gouvernement socialiste, Pedro Sánchez, qui a appelé «à défendre la démocratie espagnole». De peur de voir se concrétiser plus avant la popularité de Vox, il a reporté sine die la tenue d'élections générales.