Jusqu’ici, tout s’est finalement déroulé dans le calme. A l’annonce mercredi des résultats définitifs du premier tour de l’élection présidentielle malgache par les neuf juges de la Haute cour constitutionnelle (HCC), c’est à peine si un bruissement s’est emparé de la salle où étaient rassemblés officiels malgaches et représentants de la communauté internationale. A l’extérieur du bâtiment, les rangées de policiers antiémeute, mis en alerte par une tentative d’attaque au cocktail Molotov la nuit précédente, n’ont toisé que les embouteillages d’Antananarivo. Même la poignée de manifestants qui réclamait l’annulation du scrutin depuis l’annonce des résultats provisoires, le 17 novembre, n’avait pas fait le déplacement.
La plus haute juridiction du pays, chargée de valider les résultats du premier tour de l'élection annoncés par la Commission électorale nationale indépendante (Céni), a confirmé que le scrutin s'était déroulé selon les règles. Le second tour, le 19 décembre, opposera donc bien Marc Ravalomanana, crédité de 35% des voix, et Andry Rajoelina (39%), les deux rivaux de la crise de 2009.
Les demandes d'annulation du premier tour, déposées par un collectif de candidats, incluant le président sortant Hery Rajaonarimampianina, qui dénonçaient une liste électorale faussée, ont été déboutées. Tout comme les plaintes déposées par Andry Rajoelina, qui estimait que des voix en sa faveur avaient été distribuées à d'autres candidats, l'empêchant de l'emporter dès le premier tour.
Hélicoptères
Mais le leader du mouvement orange a accepté la décision de la Cour, appelant ses partisans à se tourner vers le second tour dès la proclamation des résultats achevée. «Il n'avait pas intérêt à contester cette décision. Les Malgaches en ont assez des mouvements de rue. Celui qui créerait de l'instabilité au milieu du processus électoral serait mal vu», juge Tiana Tatiana Deyrius, doctorante à l'université d'Ankatso, à Antananarivo.
C'est maintenant le deuxième tour qui se profile, avec le lancement officiel de la campagne et le retour des meetings ce mardi. Au premier tour, Ravalomanana et Rajoelina s'étaient rapidement détachés, grâce à leur capital politique et à une campagne extrêmement dépensière, faite de distributions de goodies, voire de billets, d'arrivées en hélicoptère et de meetings couronnés de feux d'artifice. Sans oublier une bataille de dons de tee-shirts, remportée haut la main par Andry Rajoelina à Antananarivo. Dans les quartiers populaires, le visage assuré du candidat s'étale sur bon nombre de poitrines – sans que cela ne témoigne toujours d'un soutien dans les urnes.
D'après les estimations de Transparency International, qui a essayé d'amener les candidats à dévoiler leur budget de campagne, l'organisation d'un seul des meetings de Rajoelina ou Ravalomanana est équivalente au budget électoral entier des plus petits candidats. Les voici désormais face à face, ce qui fait redouter une surenchère à Ketakandriana Rafitoson, directrice de Transparency International Initiative Madagascar. «Chacun essaie de convaincre par une débauche de moyens et de dispositifs de campagne tape-à-l'œil, qui infantilisent les électeurs et cachent la vacuité de leurs programmes.»
Ralliement
Depuis les résultats, le siège du HVM, le parti du président sortant, est déserté. Après son échec cuisant du premier tour, où il n'a rassemblé que 8,8% des voix, Hery Rajaonarimampianina a annoncé en fin de semaine dernière qu'il ne soutiendrait aucun candidat, mettant fin aux rumeurs persistantes d'alliance venues du clan Ravalomanana. Mais la réserve de voix de celui qui est arrivé troisième est toujours lorgnée par les deux finalistes, d'autant que les défections individuelles des cadres du parti vers l'un ou l'autre camp ont débuté.
Avec moins de 200 000 voix d'écart entre les deux anciens présidents, les ralliements des 33 autres candidats, individuellement sous les 1% mais qui totalisent ensemble plus 770 000 voix, sont scrutés de près. «C'est un leurre, il n'existe pas de transfert de voix automatique. Les électeurs suivent peu les consignes de vote», tempère Ketakandriana Rafitoson. Surtout, la politique malgache obéissant davantage à une logique d'hommes que de partis ou de programmes, les changements d'alliance sont aussi incessants qu'instables.
Liste électorale
L'autre inconnue du scrutin réside dans l'ampleur de l'abstention. Au premier tour, la participation ne s'est élevée qu'à 54%. Andry Rajoelina, table sur une hausse – courante au second tour – pour l'emporter. «Je fournirai l'effort nécessaire pour convaincre ceux qui hésitent, ceux qui n'ont pas voté. Je suis confiant dans le fait que le taux de participation augmentera», affirme-t-il dans une interview à l'Express de Madagascar.
Un argument balayé du revers de la main par le camp Ravalomanana, qui mise sur le ralliement en sa faveur des petits candidats. «Les chiffres de participation ne veulent pas dire grand-chose. La liste électorale est faussée : certains électeurs n'y sont pas inscrits, par contre elle comporte deux fois des mêmes noms et comptabilise encore bon nombre de morts, assure Naly Rakotondranaivo, son coordinateur national de campagne. Les citoyens qui s'intéressent au destin de leur pays ont déjà voté au premier tour, ce seront les mêmes qui voteront au second. Je n'imagine pas un gros écart de participation.»
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Les récriminations à l'encontre de la liste électorale ont déjà rythmé la campagne du premier tour et l'organisation du scrutin comme le décompte des voix risquent à nouveau d'être l'objet de contestations. Installé dans son bureau surplombant les caisses remplies de bulletins de vote, Hery Rakotomanana, le président de la Céni, reconnaît de bonne grâce que des points restent à améliorer avant le second tour. «Trois semaines pour organiser une élection, c'est très bref. Nous avons dû attendre la décision de la HCC pour imprimer les bulletins. Il faut ensuite les acheminer jusqu'aux 24 852 bureaux de vote qui sont parfois difficilement accessibles.»
Fanatisme
Le président de la Céni promet pourtant une meilleure formation des membres des bureaux de vote pour limiter le grand nombre de bulletins nuls, qui avait été l'un des problèmes du premier tour. Avec les bulletins uniques portant le nom de tous les candidats, une croix mal placée ou mal orientée peut suffire à disqualifier un vote. «Cela laisse beaucoup de pouvoir dans les mains des membres des bureaux de vote, qui peuvent facilement trouver une raison de déclarer nuls les bulletins qui leur déplaisent», glisse un bon connaisseur de la Céni. Rajoelina a lui d'ores et déjà annoncé qu'il placerait ses propres observateurs dans les bureaux de vote.
«Chacun des candidats s’attend à l’emporter, et surtout, leurs partisans n’imaginent pas autre chose. Les pro-Ravalomanana comme les soutiens de Rajoelina sont assez fanatiques, explique Tiana Tatiana Deyrius. Ils vouent un culte à leur candidat, souvent de manière irraisonnée, sans pouvoir expliquer pourquoi il est le meilleur à leurs yeux. Cela n’encourage pas le dialogue.» Les deux semaines de campagne devraient rester calmes, mais l’annonce des résultats laisse redouter des tensions. «Ce sont deux spécialistes de la manipulation des foules qui vont s’affronter. Ce sera forcément houleux. Mais le vrai peuple, le peuple citoyen, ne se réveillera pas, soupire Ketakandriana Rafitoson. La conscience politique est encore balbutiante. C’est l’argent qui fait fonctionner la campagne… comme les contestations.»