Les représentants de 197 pays sont réunis depuis lundi à Katowice, en Pologne, pour discuter pendant deux semaines des moyens de lutter contre le changement climatique. Cette conférence est la 24e menée sous l'égide des Nations unies. «Nous connaissons l'enjeu énorme auquel nous faisons face avec le défi climatique, a déclaré à cette occasion Antonio Guterres, le secrétaire général de l'ONU. Nous savons tous que nous ne sommes pas sur la bonne voie.»
Pourtant, l’avenir de l’humanité est en jeu. Les températures mondiales ont déjà augmenté de 1°C en moyenne depuis l’époque préindustrielle. Dans un rapport sorti mercredi, l’ONU rappelle que le réchauffement provoque déjà des troubles mentaux, des problèmes respiratoires et cardiovasculaires, et accélère la propagation de maladies infectieuses.
La COP 24 est aussi l'occasion d'annonces encourageantes. La Banque mondiale promet de consacrer 200 milliards de dollars (176 milliards d'euros) de financements à l'action climatique d'ici à 2025. Maersk, le plus grand groupe maritime du monde, veut atteindre la neutralité carbone en 2050. Mais nous sommes loin de la transformation sociétale nécessaire. Libération a alors décidé de se projeter le 6 décembre 2041 (année choisie arbitrairement). Et de suivre Souria, née en 2006, soit une enfant de la «génération climat». Nous avons imaginé, à partir de projections scientifiques, les deux vies que pourrait mener Souria dans vingt-trois ans. Si les Etats et les populations restent sur un statu quo face à l'urgence climatique ou s'ils prennent à bras-le-corps le problème dans les prochaines années.
Scénario noir
La voix est fatiguée à travers le téléphone : «C'est la troisième fois que la maison est inondée cette année. Les assurances sont débordées et ne prennent plus aucune demande d'indemnisation avant 2042. On n'a plus qu'à laisser tout moisir et trouver un autre toit. Avec ton père, on peut venir chez toi quelques jours ?» «Bien sûr, vous êtes les bienvenus», répond Souria. Elle raccroche et l'hologramme de sa mère disparaît dans sa montre. Elle pense à sa maison d'enfance dans l'Aude que ses parents vont devoir abandonner. Depuis les grandes inondations de 2035, la Française savait que ça allait arriver.
Machinalement, la jeune femme fait défiler les dernières alertes Google sur son écran 3 D. A part les photos de villages dévastés par les eaux dans plusieurs départements du sud de la France, un article attire son attention : «La Chine lance sans l'accord de ses voisins une large expérimentation de géo-ingénierie.» Ces techniques, inconnues du public il y a deux décennies, sont le nouvel espoir mondial face au réchauffement climatique. Et un des plus grands sauts dans le vide que l'humanité ait connus.
Pics de pollution
Après des vagues de chaleur qui ont fait 65 000 morts en Chine l’été précédent, Pékin vient de décider d’envoyer massivement dans la stratosphère des particules. Elles doivent réfléchir les rayonnements solaires pour faire descendre la température mondiale. Dans l’article, un collectif de 41 000 scientifiques alerte sur les risques d’une telle expérience à grande échelle. Malgré des décennies de recherche, il est toujours impossible de savoir quels effets elle pourrait avoir sur les écosystèmes planétaires.
Souria soupire. La trentenaire n’en peut plus de ces informations catastrophistes sur l’avenir de l’humanité. Cet été, la canicule a duré trois semaines et a fait monter le mercure jusqu’à 45°C. Impossible de dormir dans son appartement mal isolé. Elle ne pouvait pas ouvrir les fenêtres à cause des pics de pollution accompagnant la chaleur. La Nantaise, asthmatique comme beaucoup de ses amis, aimerait retourner à l’époque de ses parents, dans les années 2000-2010. Quand les hommes connaissaient les dangers mais profitaient toujours du luxe de remettre à demain les changements sociétaux nécessaires. En 2019, on avait bien cru que les Vingt-Sept de l’Union européenne arriveraient à surpasser leurs différents. Mais les résultats des élections européennes et nationales sur le continent ont sapé les efforts de collaboration. Les citoyens n’ont pas réussi à montrer à leurs dirigeants que l’écologie était un thème politiquement porteur.
Souria connaît bien le sujet. Elle travaille au service de la mairie de Nantes qui gère l’accueil des réfugiés. Aujourd’hui, dans ses dossiers, elle ne fait plus de distinction entre déplacés de guerre, migrants économiques ou climatiques. L’ONU prévoit 500 millions de réfugiés climatiques à l’horizon 2050, d’après des calculs revus à la hausse. Devant l’afflux, la France n’a pu maintenir sa politique de fermeture des frontières. Le gouvernement précédent a bien essayé, mais ça a provoqué des débordements violents et leur a fait perdre la dernière présidentielle.
A son bureau, Souria est submergée de demandes d'asile de personnes ayant fui le Sahel. Des vagues de chaleur extrêmes dépassant les 50 °C y ont rendu certaines zones invivables. Alors les habitants ont migré vers le nord. Léo, le copain de Souria, a vu un documentaire sur le sujet la semaine passée. Il disserte : «Ce serait la hausse des températures de 1,7 °C depuis l'époque industrielle qui a provoqué un réchauffement des océans, notamment de l'Atlantique. Ça a causé un ralentissement de la circulation du Gulf Stream. Provoquant, par un effet de cascade, une migration vers le sud des précipitations de mousson en Afrique de l'Ouest. Et donc une désertification du Sahel.»
Bière trop chère
Ces derniers temps, le couple discute de plus en plus d'une frustration commune : subir les conséquences des actions, ou inactions, de leurs parents et grands-parents. «L'espoir n'est pas mort tant que nous sommes vivants», aime répéter Léo, devant un verre de vin anglais (la bière est devenue trop chère avec la raréfaction du houblon). Il travaille dans une coopérative agricole. Elles ont essaimé à travers la France, au point de pousser certaines grandes surfaces de périphérie à mettre la clé sous la porte.
Souria est moins optimiste. Elle a du mal à se détacher de la misère qu'elle voit au quotidien. Le couple a décidé, il y a six mois, d'adopter un enfant malien arrivé en France en début d'année. Comme beaucoup de leurs amis, ils avaient écarté très tôt l'idée que Souria puisse tomber enceinte. Avec la surpopulation planétaire et l'avenir incertain devant eux, «ce serait criminel», a même lâché Léo un soir. Quand la jeune femme a rencontré Biram, 6 ans, leur décision de l'adopter s'est imposée rapidement. Le couple ne sait pas quel futur climatique il vivra, mais au moins, ils savent qu'ils pourront lui rendre la vie moins dure.
Scénario vert
La voix est calme à travers le téléphone. «Je n'ose plus sortir avec la tempête de neige qui dure depuis plusieurs jours. Heureusement qu'on a rénové l'isolation de la maison il y a vingt ans. C'est un vrai plaisir de se prélasser dans la douceur du salon. Et les factures de chauffage sont ridicules.»
- Tant mieux maman, je viendrai vous voir dès que la tempête sera terminée. J'ai repéré des billets de train pour Paris pas cher en Hyperloop [le réseau de capsules voyageant à 1 200 km/h a été installé entre Toulouse et Paris en 2035, ndlr].»
Souria, 35 ans, raccroche. L’hologramme de sa mère disparaît dans sa montre. Elle pense à sa maison d’enfance dans l’Aude, un havre de paix alimenté par des panneaux photovoltaïques. Ses parents ont profité de la campagne de prêts très avantageux mis en place par le gouvernement en 2020 pour les faire installer. Les travaux ont coûté cher mais les économies d’énergie et d’eau ont largement couvert le prix de l’emprunt. Avec son copain, Léo, ils ont aussi refait l’isolation de leur appartement à Nantes quand ils l’ont acheté. Et ils se sont raccordés à un réseau local de chaleur alimenté au gaz renouvelable, issu de la transformation de produits industriels et agricoles.
Casse-tête
C’était une évidence pour eux. Souria a un poste de «rénovatrice», elle travaille pour la mairie. Elle propose des programmes clés en main et subventionnés de réhabilitation aux particuliers. La jeune femme s’occupe de trouver les artisans spécialisés et les techniques les moins chers. Quand elle était petite, ce métier était quasi inexistant mais à son arrivée à l’université, en 2024, la filière avait prospéré.
Et pour cause, 2024 fut l’année de la grande accélération de la transition écologique en France. Encouragé par le vote, en 2019, d’une relève des ambitions climat au niveau européen, le nouveau gouvernement français élu en 2022 avait décidé d’accorder toutes les politiques publiques avec le scénario négaWatt 2050. Ecrit par les experts de l’association du même nom, ce fut la première feuille de route permettant à la France d’envisager d’être neutre en carbone au milieu du siècle. Cette réorientation nationale n’aurait jamais eu lieu sans les grandes manifestations citoyennes de l’année 2019, intervenues quelques mois après la démission de l’ex-ministre de l’Environnement Nicolas Hulot.
Souria connaît par cœur le scénario négaWatt, c'était son sujet de mémoire. Pour l'écrire, la trentenaire avait notamment interviewé Thierry Salomon, le vice-président de négaWatt. «Une trajectoire claire et réaliste pour la transition écologique pourrait être acceptée par les Français, lui avait-il affirmé il y a dix ans. Rénover 780 000 logements, réduire de près de 60 % la consommation moyenne des voitures, retourner au niveau de la demande en viande des années 90, mettre fin aux importations d'énergies fossiles pour atteindre 100 % d'énergies renouvelables en 2050. Tout en divisant par trois la consommation énergétique. Tout ça est possible et serait extrêmement bénéfique pour l'économie.» Souria est sortie transformée de cet entretien. Et la prophétie s'est réalisée. La jeune femme s'émerveille aujourd'hui de voir comment les surplus d'électricité photovoltaïque l'été, ou éolien en cas de coup de vent, peuvent être transformés en biogaz et donc stockés pour l'hiver, grâce à la technique d'électrolyse. Un casse-tête qui semblait impossible à résoudre il y a quelques décennies, lui affirment ses parents.
Avec Léo, gérant d’un réseau de coopératives agricoles en plein boom dans la périphérie nantaise, Souria a traversé l’Europe à vélo pour ses 25 ans. Le couple a ainsi découvert comment, dès 2017, la belle commune portugaise de Vila Nova de Gaia (312 000 habitants) produisait un tiers de son électricité et transformait ses déchets en biogaz. En Norvège, sur les bords du fjord d’Oslo, Souria a insisté pour visiter la première école à énergie positive du monde. Dès 2018, le bâtiment produisait tout seul 30 500 kilowattheures par an, soit la consommation annuelle de deux couples avec trois enfants.
Rues silencieuses
Assis sur leur terrasse végétalisée, le couple nantais se remémore ce qui a permis ce retournement de situation. Dans les années 2010, c'était plutôt le désespoir qui dominait chez leurs parents. La semaine dernière, Léo a regardé un documentaire sur le sujet. Il résume : «En fait, tout s'est joué il y a vingt ans. Après les nouvelles politiques européennes sur le climat de 2019, la présidentielle américaine de 2020 a porté au pouvoir une jeune femme qui a immédiatement réintégré le pays dans l'accord de Paris. Elle a fait fermer les centrales à charbon et interdit l'exploitation du gaz de schiste. Ça a eu un effet d'entraînement.»
En se promenant le soir dans les rues de Nantes, devenues silencieuses depuis que seules les voitures électriques sont autorisées, Souria et Léo avouent qu’il fait bon vivre à leur époque. Ils passent à côté des tramways chargés de transporter les nouveaux arrivages de produits vers le centre-ville la nuit, à la place des camions. Quant à l’éclairage des rues, il ne se déclenche qu’en cas de passage. Souria, Léo et les autres peuvent enfin revoir les étoiles depuis la ville.