Entourée par les médecins de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Marta est en train de signer un «formulaire de consentement éclairé» expliquant qu’elle et ses deux enfants vont recevoir un vaccin expérimental contre Ebola. Plus de 40 000 personnes en ont bénéficié depuis le début de l’épidémie du Nord-Kivu, au mois d’août. En quatre mois, la fièvre hémorragique a déjà fait 303 morts, devenant de fait la plus grosse épidémie que la République démocratique du Congo ait connue depuis la découverte du virus dans le nord du pays, en 1976. Avec un taux de mortalité proche des 70 %, la population est effrayée, et se fait de plus en plus facilement vacciner.
«Avant, cette piqûre m'inquiétait, explique Marta. J'ai entendu toutes sortes de choses : certains politiques disent qu'elle peut donner la maladie. Mais j'ai tellement peur d'être infectée que je suis venue quand même, ici on m'a dit qu'il n'y avait pas de risques, donc je vais le faire.» Les quinze personnes présentes ont été approchées par les équipes du ministère de la Santé et de l'OMS car elles ont été en contact avec une personne tuée par la maladie. «C'est assez facile d'organiser une vaccination ici, ces personnes comprennent pourquoi nous sommes là. Et nous sommes proches du centre-ville, donc la situation sécuritaire est convenable, assure le docteur Diallo, en charge du programme. Il est beaucoup plus compliqué d'organiser ces missions quand on doit aller en zone rouge…»
«Qu’est-ce que vous foutez ?»
A l'extérieur de Beni, ville de plusieurs centaines de milliers d'habitants située au cœur du Nord-Kivu, les combats font rage. Au sud, les milices Maï-Maï, des groupes armés autogérés, autorisent parfois l'accès à leurs territoires pour que les équipes médicales rejoignent les malades. Mais au nord et à l'est, les Forces démocratiques alliées (ADF), groupe armé venu d'Ouganda, terrorisent population, forces de l'ordre et médecins. Impossible d'entrer en contact avec ce groupe, présenté par les autorités comme islamiste, pour négocier un couloir humanitaire. «C'est notre plus gros problème, ce qui nous empêche de circonscrire cette épidémie, déplore Michel Yao, le médecin de l'OMS qui supervise les opérations. Il y a de nombreuses zones auxquelles nous n'avons pas accès. Nous ne pouvons pas aller chercher les malades ou vacciner les personnes à risque. L'épidémie pourrait très bien s'étendre dans ces régions sans que personne ne puisse intervenir.» Régulièrement, la milice basée à quelques kilomètres de Beni attaque des quartiers de la ville, des axes routiers ou des villages. Depuis le début du mois, 28 civils ont été tués au cours de trois massacres attribués aux ADF.
Un matin, les risques sécuritaires sont jugés acceptables pour les autorités : une ambulance du ministère de la Santé file en direction d’Oïcha, ville voisine au nord. Accompagnée d’une escorte policière, elle part à la recherche d’un cas potentiel d’Ebola. Sur place, pas question de traîner. En quelques minutes, Jeanne, suspecte d’être contaminée par la fièvre hémorragique, est emmenée dans l’ambulance, sa chambre est décontaminée et les équipes reprennent la route, direction le centre de traitement de l’ONG Alima, à Beni. Un homme prélève son sang : sa suspicion de cas est confirmée. Le virus l’affaiblit énormément, elle passera les prochaines journées alitée. Prise en charge à temps, ses chances de survie sont multipliées : 67 % des malades qui ont survécu aux premières vingt-quatre heures dans le centre guérissent. A la nuit tombée, Jeanne, assise sur son lit, prie à voix haute : elle implore Dieu de la laisser vivre une journée de plus, avant de s’endormir.
Vers 23 heures, tout Beni est réveillé par des détonations. Impossible de savoir si les maisons ciblées dans le quartier de Boikene sont choisies ou simplement visées au hasard. Plusieurs hommes armés s'en prennent à une famille, tuant le père d'un tir de mortier, égorgeant la mère et enlevant quatre enfants. Le lendemain matin, quand le soleil se lève, une centaine de personnes se réunissent autour de la mare de sang. Principalement des jeunes, qui invectivent l'armée congolaise, incapable d'empêcher les atrocités et arrivée plusieurs heures après les violences pour constater les dégâts. «Il y a quatre gamins qui sont dans la forêt en ce moment, et vous, qu'est ce que vous foutez ? Vous restez là à attendre !» L'un d'entre eux attrape un des militaires par la manche pour le traîner en direction des arbres situés à quelques centaines de mètres. «Nous, on y va, si vous ne voulez pas vous bouger, on le fera sans vous !» Une poignée de soldats lui emboîtent le pas, mais sans résultat. Les enfants resteront introuvables et seront probablement enrôlés au sein de la milice.
Opération d’envergure
Quelques jours plus tard ont lieu les funérailles de la mère de famille exécutée. Tout le voisinage est réuni. Alors que le cercueil arrive, une quinzaine de femmes manifestent bruyamment leur tristesse. Le pasteur tente de couvrir les cris avec sa prière. Charles, un membre de la famille, semble perdu, le regard vide en direction du cercueil : «Qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse ? On ne sait pas ce qu'ils veulent. On ne peut rien faire, à part attendre que ça nous tombe de nouveau dessus.» Sur la route du cimetière, la majorité des maisons sont abandonnées. Beaucoup fuient en direction du centre-ville, au risque d'étendre l'épidémie si des personnes contaminées venaient à entrer en contact avec d'autres habitants.
«Ces massacres représentent un problème majeur, confie Mac Karna Soro, chef du bureau de Beni de la Mission des Nations unies en RDC (Monusco). Les populations sont terrorisées, et il est difficile dans de telles conditions de circonscrire efficacement l'épidémie. Les autorités congolaises ne pouvaient plus croiser les bras et ont décidé de lancer une opération d'envergure. Dans cette perspective, elles ont discuté avec nous pour tenter de faire stopper ces violences et pour que la réponse à Ebola puisse fonctionner.»
Pour permettre un accès à ces zones éloignées du centre-ville, les forces armées congolaises et la Monusco ont lancé une offensive plus de trois mois après le début de l'épidémie. Dans le QG des opérations des casques bleus à Beni, des cartes de la région sont suspendues, toutes annotées «Top secret». Elles montrent les positions des militaires qui participent à la bataille. «Nous allons tenter de reprendre trois bases, dit un soldat malawite en pointant une des cartes avec un laser. A l'heure à laquelle nous parlons, nous avons un bataillon qui est en train de rejoindre 650 militaires congolais. Ils ne vont pas tarder à attaquer.»
«Nous n’abandonnerons pas Beni»
Toute la journée, les hélicoptères balaient le ciel de Beni, on entend parfois une explosion, signe que l'artillerie appuie les troupes. «C'est une zone très dense, très boisée. On ne peut pas voir qui nous attaque, déplore Robert, un militaire tanzanien. Et même si on aperçoit quelqu'un, on doit attendre qu'il ouvre le feu pour pouvoir tirer. Ces types ont volé des uniformes de militaires, on ne sait jamais si on a un ennemi ou un ami face à nous. Je n'ai jamais vécu une situation aussi effrayante.» Dès le début de l'opération, les pertes sont lourdes. Sept casques bleus sont tués ainsi que de nombreux militaires congolais, beaucoup de blessés doivent être ramenés d'urgence vers la base de la Monusco. Après quelques jours de combat, l'armée annonce avoir pris le premier camp des ADF, Kididiwe.
Coïncidence ou représailles, la nuit du 16 novembre, un quartier où vivent des membres des Nations unies est attaqué, dont les maisons de sept membres de l'OMS. Traumatisés, ils sont évacués en direction de Goma, à une heure d'avion au sud. Les opérations anti-Ebola sont alors suspendues vingt-quatre heures. Des rumeurs se répandent en ville : les médecins, effrayés, fuiraient la région et laisseraient tomber Beni. «Des ragots sans fondement, dément Michel Yao, le médecin de l'OMS. Sept personnes ont été évacuées. Sept sur 191. Nous n'abandonnerons pas Beni. Tant qu'Ebola sera dans la région, nous y serons aussi.» Un séjour qui pourrait se prolonger : sans accès aux zones à haut risque, stopper l'épidémie s'annonce compliqué.
Elections sous haute tension
Après deux ans de «glissement», selon l'expression congolaise, les élections présidentielle, législatives et locales doivent finalement se tenir le 23 décembre. La campagne, qui voit s'affronter Emmanuel Shadary, dauphin désigné du président Kabila, Félix Tshisekedi, fils de l'opposant historique Etienne Tshisekedi, et Martin Fayulu, à la tête d'une large coalition d'opposition, se déroule dans un contexte explosif. Au moins six personnes ont été tuées en marge des rassemblements géants provoqués par les meetings des candidats. «Je suis très inquiète au sujet d'informations faisant état d'un usage excessif de la force, y compris de balles réelles, par les forces de sécurité contre des réunions de l'opposition», a indiqué Michelle Bachelet, la haut-commissaire aux droits de l'homme de l'ONU.
L’autre sujet de préoccupation est le déploiement des machines à voter (utilisées pour la première fois en RDC) dans les bureaux de vote, un casse-tête logistique dans le deuxième plus grand pays d’Afrique. Dans la nuit de mercredi à jeudi, 8 000 machines ont brûlé dans un entrepôt de Kinshasa, détruisant 80 % du matériel électoral.
Célian Macé