Cette histoire commence, comme souvent, au supermarché. Ce jour-là, on avise un paquet de gaufrettes aux noisettes. Estampillées «Aschenbrödel», elles représentent une jeune femme qu’on croirait sortie d’un conte de fées un peu désuet.
Il s'avère que c'est le cas. A travers le visage de l'actrice tchèque Libuse Safrankova, ces gaufrettes célèbrent «Aschenbrödel», une princesse de conte de fées, mais pas n'importe laquelle. Il s'agit de LA Cendrillon cathodique d'ex-RDA, protagoniste adulée d'une version cinématographique germano-tchèque de 1973 du conte de Perrault, intitulée Trois noisettes pour Cendrillon («Drei Haselnüsse für Aschenbrödel»), devenue, vingt-huit ans après la réunification, un film de Noël plébiscité dans toute l'Allemagne.
Car cette adaptation a largement dépassé les frontières de la Saxe, où elle fut en partie tournée. Un peu comme le Père Noël est une ordure, le film est diffusé chaque année au moment des fêtes. Mais à la différence de la méchante comédie française, Drei Haselnüsse für Aschenbrödel est diffusé sur plusieurs chaînes à la fois, histoire que personne ne puisse le rater.
Par exemple, la Mitteldeutscher Rundfunk a préparé un pense-bête pour qu’on ne manque aucune diffusion du film et à l’évidence, il sera difficile de passer à côté (sans compter qu’il est également disponible sur Netflix).
Cette Cendrillon germano-tchèque, qui est-elle ? Disons, pour résumer, qu’elle est plus tonifiante que les autres. Elle tire à l’arbalète comme une cheffe, monte son cheval gaillardement et certes, mène une existence misérable et cruelle pendant la moitié du film, mais sans courber l’échine pour autant. Et lorsque sa marâtre lui impose des travaux ménagers injustes, elle se rebiffe avec un regard insolent. Face au prince, qui est dépeint comme un garçon grégaire et un peu immature, elle est taquine. Plus adroite que lui, elle le bat à la chasse.
Les trois noisettes magiques dont elle dispose – d'où le titre du film – et qui vont l'aider à changer sa vie, lui donnent d'ailleurs de beaux cadeaux, le premier d'entre eux étant une splendide tenue de chasse qu'elle étrenne illico car sa passion, c'est enfourcher son cheval et crapahuter dans la forêt. Au bal où elle danse avec le prince, elle ne fuit pas la soirée en catastrophe parce qu'il est minuit et qu'elle doit rentrer avant que son carrosse ne se «citrouillifie», mais tout simplement parce qu'elle s'en va. Et ce, alors même que le Prince, la couvant d'un regard charmé et légèrement benêt, vient de lui demander sa main. Le réalisateur du film, le Tchèque Vaclav Vorlicek, résume la situation : «Ce n'est pas le Prince qui a emmené Cendrillon, mais Cendrillon qui a emmené le Prince.»
(Extrait de la malicieuse rencontre entre Cendrillon et le prince)
Ce film est-allemand, ou plutôt est-européen car prisé à Prague comme à Berlin, est tiré d'une adaptation du conte de Perrault par l'écrivaine Bozena Nemcova, l'une des figures de la renaissance nationale tchèque, mouvement littéraire, culturel et politique du XIXe siècle destiné à faire revivre la culture tchèque dans un pays alors germanisé. Comment se réapproprier une langue et une culture ostracisées par l'occupant ? Pratiquement en même temps, Adam Mikiewicz en Pologne ou W.B. Yeats en Irlande se posaient les mêmes questions. Cette Cendrillon est donc, sans conteste, une histoire d'émancipation – sociale, féminine, politique.
Un conte plutôt féministe écrit par une Tchèque revendiquant sa culture face à l’occupant germanique est donc devenu un film culte dans toute l’Allemagne, de Berlin à Cologne en passant par Munich. Ça doit être ça, la fameuse magie de Noël.