Les réclamations et accusations de fraude sont arrivées avant même les résultats de l’élection présidentielle malgache. Le 19 décembre, le second tour a mis aux prises deux anciens dirigeants du pays, Marc Ravalomanana et Andry Rajoelina, dont le duel régit la vie politique depuis 2009. Les premiers résultats, distillés au compte-gouttes par la Commission électorale nationale indépendante (Céni), annonçaient depuis plusieurs jours une victoire d’Andry Rajoelina. Depuis ce jeudi, c’est désormais officiel : il est arrivé en tête, avec 55,66% des suffrages, contre 44,34% pour son rival, d’après les chiffres dévoilés par la Céni.
Marc Ravalomanana n'a pas attendu le décompte final pour crier à la fraude. Dès le 23 décembre, il avait affirmé que «les résultats annoncés par la Céni [n'étaient] pas fiables». Et appelé dans la foulée, «tous les Malgaches qui sentaient avoir subi une injustice et une violation de leur droit et de leur vote, à se lever et oser défendre leur choix». Des accusations d'irrégularités qui vont à l'encontre des déclarations des observateurs internationaux, délégués par l'Union européenne et l'Union africaine, qui évoquent eux un «scrutin transparent et bien organisé».
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«Des petites irrégularités ont toujours lieu, mais elles n'ont rien de massif et n'entachent pas les résultats d'ensemble, estime Jean-Michel Wachsberger, maître de conférences en sociologie à l'université de Lille. Ces accusations font partie intégrante du jeu politique auquel se livrent Rajoelina et Ravalomanana. Si Rajoelina s'était retrouvé en seconde position, il est très probable qu'il aurait lui aussi crié aux fraudes.» Au premier tour, c'est en effet Andry Rajoelina qui avait déposé des requêtes auprès de la Haute Cour constitutionnelle (HCC), estimant qu'une partie des votes en sa faveur avaient été détournés vers les petits candidats, le privant d'une victoire en un tour.
Appel à ses partisans
Le camp Ravalomanana a d'ores et déjà recours à tous les moyens légaux pour contester les résultats du scrutin. Dès le week-end dernier, des juristes et des membres de son comité de soutien ont investi le siège de la Céni pour procéder à des confrontations de procès-verbaux électoraux. Un processus non prévu par la loi électorale mais autorisé par la Céni, afin de «dissiper toute suspicion». Ravalomanana a désormais deux jours pour déposer des requêtes auprès de la HCC, qui doit valider les résultats du scrutin d'ici le 9 janvier. Les partisans d'Andry Rajoelina soulignent qu'avec plus de 500 000 voix d'écart entre les deux candidats, même l'annulation des résultats de plusieurs bureaux de vote ne remettrait pas en cause les résultats d'ensemble.
Mais Marc Ravalomanana semble ne pas vouloir s'en tenir à une contestation juridique. En appelant ses partisans à se réunir samedi à Antananarivo «pour défendre le choix du peuple», il a ravivé le spectre des émeutes urbaines de 2009 fomentées par Andry Rajoelina, et suivies d'un coup d'Etat militaire. «Le risque de contestation populaire me semble bien moins élevé aujourd'hui, tempère Jean-Michel Wachsberger. Les deux candidats n'ont pas le même type de partisans. Rajoelina a plus de supports dans les quartiers bas de la capitale, dans les régions côtières, bref parmi les marginalisés du système. Alors qu'ils ont des parcours très semblables, Ravalomana représente plus l'establishment dans l'esprit des gens. Son électorat se compose surtout de la petite et moyenne bourgeoisie, moins encline à sortir dans la rue.»
Abstention et désaffection
Même une transition dans le calme serait loin de résoudre tous les problèmes politiques du pays. «Celui qui prend le pouvoir, prend tous les pouvoirs, explique Jean-Michel Wachsberger. Il faut arrêter de compter sur un homme providentiel qui sauverait Madagascar. Les changements politiques ne pourront venir que d’une lente structuration de la société civile, des corps intermédiaires.» Un défi de taille, d’autant que la désaffection des citoyens envers la vie politique gagne du terrain après une décennie marquée par la dégradation de la situation économique et sécuritaire. L’abstention (52% au second tour) ne cesse d’augmenter depuis quelques années, comme le nombre de bulletins blancs et nuls, témoignant de la lassitude des électeurs face à un jeu politique grippé et de l’isolement de certaines régions.