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Libération
Censure

En Arabie Saoudite, Netflix retire une émission critiquant le prince héritier

Evoquant le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi, l'humoriste américain Hasan Minhaj s'en est longuement pris au prince héritier saoudien. La plateforme dit obéir à une requête légale du régime saoudien.
Capture d'écran de l'épisode «Arabie Saoudite» de «Hasan Minaj : Un patriote américain», diffusé sur Netflix en octobre. (Netflix)
publié le 2 janvier 2019 à 12h31

Netflix a-t-il une conception différente de la liberté d'expression selon les pays où il diffuse ? La plateforme de vidéo à la demande par abonnement a supprimé un de ses contenus en Arabie Saoudite, à la demande des autorités de cette monarchie, rapporte le Financial Times.

Le contenu en cause est un épisode de l'émission américaine Patriot Act, animée par l'humoriste Hasan Minhaj (sous le titre Hasan Minhaj : Un patriote américain en français). Issu du Daily Show, Minhaj en a gardé le ton pour commenter sur un mode humoristique des sujets d'actualités. Et parmi ces sujets figure en bonne place l'Arabie Saoudite, qui se voit consacrer un segment complet dans le deuxième épisode du show, mis en ligne le 28 octobre dernier par la plateforme.

«La seule chose que MBS modernise, c'est la dictature saoudienne»

Partant de l'assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, d'abord nié puis reconnu par Ryad, Hasan Minhaj s'en prend pendant une vingtaine de minutes à Mohammed ben Salmane (MBS), le prince héritier du régime. «Il y a quelques mois, Mohammed ben Salmane, aka MBS, était salué comme le réformateur tant attendu du monde arabe. Mais les révélations sur le meurtre de Jamal Khashoggi ont brisé cette image, et je suis sidéré qu'il ait fallu le meurtre d'un journaliste du Washington Post pour que les gens se disent : "Oh, il n'est pas vraiment un réformateur"», lance Minhaj, selon qui «il serait temps de réévaluer notre relation avec l'Arabie Saoudite».

Ironisant sur le fait que «les Occidentaux ont craqué pour MBS, parce qu'ils ont cru à ses salades», notamment lorsqu'il a levé l'interdiction aux femmes de conduire, l'humoriste évoque plusieurs faits d'armes du prince héritier, comme l'emprisonnement pour trois mois (au Ritz-Carlton) du milliardaire Al-Walid ben Talal, membre de la famille royale saoudienne, l'assignation à résidence de sa propre mère, les quelque 1 500 prisonniers politiques dans le pays, la hausse des exécutions… «La contrainte, la coercition, emprisonner les gens… C'est la façon de faire de MBS, et on ne lui a jamais rien dit», explique Minhaj, avant d'enchaîner sur la guerre au Yémen, pays dévasté par les raids menés par une coalition dirigée par l'Arabie Saoudite. Il pointe également les liens financiers entre l'Arabie saoudite et les entreprises de la Silicon Valley, dans lesquels la monarchie investit des milliards de dollars. Bref, «la seule chose que MBS modernise, c'est la dictature saoudienne».

«Nous conformer à la loi locale»

Selon le Financial Times, Netflix a confirmé le retrait de l'épisode dans la monarchie, expliquant que la commission saoudienne des communications et des technologies de l'information en avait fait la requête. Selon elle, le contenu violerait une loi nationale contre les cybercrimes qui punit «la production, la préparation, la transmission ou la détention d'un contenu menaçant l'ordre public, les valeurs religieuses, la morale publique et la vie privée». «Nous défendons ardemment la liberté artistique à travers le monde et n'avons retiré cet épisode qu'en Arabie saoudite, après avoir reçu une requête légale valide – et pour nous conformer à la loi locale», a dit la plateforme au FT.

Ironiquement, le dernier épisode en date du show abordait la question de la liberté d'expression chez des géants du net comme Facebook… et s'achevait sur un nouveau segment consacré à l'Arabie Saoudite. Quant à l'épisode incriminé, ses vingt minutes consacrées à MBS sont toujours visibles en ligne, sur YouTube.

Karen Attiah, qui éditait les contributions au Washington Post de Jamal Khashoggi, a qualifié la position de Netflix de «scandaleuse», et de nombreux internautes ont dénoncé une censure sur Twitter.