On a marché sur la face cachée de la Lune. Qui ? Un engin chinois. Hergé aurait apprécié l'ironie de la nouvelle, lui qui a si bien combattu, dans le Lotus bleu, les préjugés conçus en Occident envers la Chine. Deux prophéties tintinesques - ou tintiniennes - se réalisent le même jour. L'affaire ne saurait être sous-estimée. Quand la Russie soviétique avait propulsé dans l'espace le premier vaisseau spatial de l'histoire, Spoutnik, elle avait provoqué un tremblement de terre géopolitique. Piqués au vif, menacés dans leur prééminence technologique, les Etats-Unis d'Eisenhower et de Kennedy avaient relevé à grands frais le défi. Après une saga incertaine et magistrale (voir l'Etoffe des héros), ils étaient arrivés les premiers sur la Lune. Sur sa face visible, en tout cas. Aujourd'hui, c'est la Chine, si longtemps humiliée par l'Occident, qui réalise une première historique. Le vrai «nouveau monde» est là. On peut tenir pour vaine cette compétition âpre entre grandes puissances de la planète pour explorer un satellite inerte, stérile et désertique, au moment où c'est la planète elle-même qui est menacée par l'hubris des hommes. Mais on peut aussi se réjouir. D'abord parce que cette course à l'espace est essentiellement pacifique, et caractérisée tout autant par une coopération rassurante entre nations rivales. Mieux vaut envoyer des fusées dans les étoiles que sur les capitales adverses, comme on a manqué de le faire pendant la guerre froide. Ensuite parce que le perfectionnement des techniques nées de la navigation spatiale irrigue toutes sortes d'activités. Or au contraire de ce que prêche un esprit du temps hostile à la science, c'est aussi grâce au savoir scientifique qu'on a mesuré les dangers écologiques et qu'on peut mieux les combattre. Il arrive que le progrès, nécessaire pour vaincre ses propres excès, tombe aussi du ciel.
Dans la même rubrique