La France ne veut pas rater la navette du spatial. L'espace, qu'un traité de 1967 ambitionnait de démilitariser, l'est de moins en moins. Certes, l'alunage inédit réalisé jeudi matin par la Chine relève de l'exploration, donc du domaine civil, mais comme l'analyse un membre du cabinet de la ministre des Armées, il «démontre que les grandes puissances investissent dans le spatial» : «La France ne peut pas rester en retrait.» D'autant que les Etats-Unis n'ont pas attendu.
«Si nous perdons la guerre dans l’espace, nous perdrons la guerre tout court»
Depuis six mois, le ministère planche sur la future «stratégie spatiale de défense» française, commandée le 13 juillet par Emmanuel Macron. Le rapport d'une cinquantaine de pages sera présenté dans les jours prochains au président de la République, qui décidera s'il en rend une partie publique. Cette première véritable doctrine formalisera et développera un constat fait ouvertement par les autorités militaires. «Je crois pouvoir dire aujourd'hui […] que si nous perdons la guerre dans l'espace, nous perdrons la guerre tout court», professait aux députés le chef d'état-major de l'armée de l'air en octobre. «La France est très prudente, car elle ne veut pas d'une arsenalisation de l'espace, [mais] nous continuerons d'accorder une importance croissante à ce domaine et à développer les moyens nous permettant de protéger nos satellites», insistait devant les mêmes le général François Lecointre, chef d'état-major des armées.
Le gouvernement a déjà décidé d'y consacrer 3,6 milliards d'euros d'ici 2025. La loi de programmation militaire, adoptée en 2018, prévoit le renouvellement de tous les programmes ces prochaines années : observation spatiale (programme CSO), écoute électromagnétique (Ceres), télécommunication (Syracuse 4). Mais le groupe de travail, qui associait grosso modo toutes les structures liées à l'espace, se veut plus prospectif, et moins budgétaire, en cherchant à définir à quoi ressemblera ce nouveau milieu. Il dresse notamment une typologie des menaces. A commencer par les plus «légères», comme l'espionnage. En septembre, Florence Parly avait révélé qu'un satellite russe s'était dangereusement approché d'un engin spatial franco-italien utilisé pour les communications militaires sécurisées. Viennent ensuite les risques de «déni de service», par exemple l'aveuglement d'un satellite pour l'empêcher de capturer des images. Enfin, la destruction par «désorbitage» voire attaque physique (les Etats-Unis et la Chine en ont déjà fait la démonstration).
«L’espace est un pilier de l’économie française»
Les enjeux du spatial ne se limitent pas, et de moins en moins, au domaine strictement militaire. «L'espace est un pilier de l'économie française. Chaque jour, les Français utilisent entre 10 et 40 satellites», relève le cabinet de Florence Parly. Les Etats ont vu leur monopole sur ce nouveau milieu grignoté par le «New Space», ces entreprises et start-ups qui investissent l'espace. Quelque 7 500 satellites survoleront la terre en 2025, contre 1 500 aujourd'hui, faisant de la gestion du trafic spatial un sujet émergent, comme le fut au XXe siècle la navigation aérienne. Même si la France est loin d'avoir son «SpaceX», l'emblématique boîte d'Elon Musk, le groupe de travail est convaincu que le secteur privé peut démultiplier les moyens dont disposent les armées, à condition de définir des «acteurs de confiance».
Pour faire face à l'espace ainsi recomposé, le rapport imagine la création d'une nouvelle structure, qui ne devra pas être pas un «grand ensemble» pour rester efficace et proche des opérations, priorité du ministère. Interrogé sur la pertinence d'une «armée de l'espace» sur le modèle américain, le général Lecointre avait affirmé cet automne ne pas en voir l'intérêt : «Il me semble assez naturel que l'armée de l'air soit le principal acteur dans ce domaine [et] prenne une place de plus en plus importante dans la gestion de l'espace, l'action dans ce milieu et une future "guerre de l'espace".»