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Renault

Pour le PDG, une défense taillée sur mesure

Carlos Ghosn a choisi le très réputé Motonari Otsuru comme avocat. Un allié précieux pour le patron de Renault puisqu’il a un temps dirigé le bureau d’enquêtes spéciales responsable de son arrestation.
Carlos Ghosn apparaissant à la télévision japonaise, à Tokyo, le 21 décembre. (Photo par Jiji Press. AFP)
publié le 7 janvier 2019 à 21h17

En apparence, il n'est que douceur et discrétion. Un visage jovial sous des mèches rebelles poivre et sel. Des joues généreuses derrière de rondes lunettes. Ses surnoms révèlent toutefois un autre personnage. C'est «M. au carré», pour son extrême sérieux et son implacable rigueur, ou encore «le Confesseur», pour sa capacité à faire parler les suspects les plus retors. Motonari Otsuru, 63 ans, est l'avocat japonais choisi par Carlos Ghosn. S'il travaille en collaboration avec le cabinet américain Paul, Weiss, Rifkind, Wharton & Garrison LLP, également recruté par le patron déchu de Nissan, c'est bien lui qui assure la défense du Franco-Libano-Brésilien depuis son arrestation surprise le 19 novembre sur le tarmac de l'aéroport Haneda de Tokyo.

A ce titre, la star du barreau japonais est l’une des très rares personnes, avec les ambassadeurs de France, du Brésil et du Liban, à pouvoir rendre visite au dirigeant de Renault dans sa petite cellule du centre de détention de Kosuge, au nord-est de Tokyo. Il n’a pas le droit d’assister son client lors des interrogatoires et n’a pas accès aux pièces du dossier, mais il peut s’entretenir avec lui pour le conseiller. Il n’a rien dévoilé de sa stratégie et son cabinet refuse les demandes de commentaires. Tout juste sait-on que Carlos Ghosn nie en bloc les faits qu’on lui reproche.

Saxophone

Motonari Otsuru s'avère un allié judicieux, voire le seul atout dont dispose le patron emprisonné, face à la machine judiciaire japonaise : autrefois procureur, il a supervisé de 2005 à 2007 le redoutable bureau d'enquêtes spéciales du parquet de Tokyo. Celui-là même qui interroge Carlos Ghosn depuis des semaines. «Il est le meilleur choix car il connaît toutes les techniques du procureur», confirme le juriste Yoji Ochiai, lui-même ancien procureur. L'avocat de Ghosn a d'ailleurs déjà deux coups d'éclat à son actif. C'est lui qui a demandé et obtenu la comparution de son client, ce mardi à 10 h 30, heure japonaise (2 h 30 du matin dans la nuit de lundi à mardi en France), devant un tribunal de Tokyo pour obliger le procureur à clarifier publiquement le motif de sa détention prolongée. La séance ne devait rien changer à l'affaire, mais permettre à Carlos Ghosn de se faire entendre pour la première fois durant… dix minutes. Auparavant, le 20 décembre, Motonari Otsuru avait infligé un camouflet au parquet japonais en obtenant le rejet par un tribunal de l'extension de la garde à vue de Carlos Ghosn. Ce coup de théâtre rarissime avait laissé entrevoir l'espoir d'une libération sous caution. Mais finalement les procureurs ont délivré un troisième mandat d'arrêt, pour abus de confiance aggravé, et ainsi obtenu le maintien en détention du dirigeant de Renault.

Diplômé de la prestigieuse université de Tokyo, père de deux enfants et féru de saxophone, Motonari Otsuru est entré dans la magistrature en 1980, au parquet de la capitale. Vingt-cinq ans plus tard, il prend la tête du bureau d'enquêtes spéciales, un service créé en 1947, qui rassemble près de 150 personnes pour lutter contre la délinquance en col blanc. A son arrivée, Motonari Otsuru se fixe pour objectif «d'enquêter sur les affaires qui mettent en colère les honnêtes travailleurs et qui les amènent à se demander pourquoi cela a été possible».

Confrontation

Réputé pour son style musclé, le Japonais pilote dans les années 2000 des affaires très médiatisées impliquant des hommes d’affaires de premier plan. Il met en garde à vue pendant trois mois le flamboyant fondateur du portail web Livedoor, Takafumi Horie - condamné à deux ans et demi de prison pour infraction aux règles du marché. Il orchestre l’arrestation du gérant de fonds le plus célèbre du pays, Yoshiaki Murakami, pour délit d’initié. Puis, en 2011, il passe de l’autre côté du prétoire et devient avocat. Aujourd’hui, Motonari Otsuru fait donc face à Hiroshi Morimoto, le procureur en charge du bureau d’enquêtes spéciales.

Ce dernier, ténor de la magistrature, a lui aussi fait ses études à l’université de Tokyo avec le ministre de la Justice, Takashi Yamashita. Il fut ensuite l’un des jeunes loups prometteurs de l’équipe de… Motonari Otsuru. Depuis qu’il a pris la tête du bureau, il s’est fait remarquer en engageant des poursuites pour soupçons d’entente illégale contre les principaux sous-traitants du méga-chantier du Maglev, le futur train à sustentation magnétique qui devrait entrer en service en 2027. L’affaire Nissan est en quelque sorte la confrontation entre l’ancien mentor et son protégé.

Carlos Ghosn risque gros. Si les différents chefs d’accusation sont avérés - dissimulation de revenus, abus de confiance, etc. -, chacun pourrait lui valoir dix années de prison. Etre poursuivi au Japon par le bureau d’enquêtes spéciales est en général de très mauvais augure. Etre mis en examen ne l’est pas moins, puisque 99 % des personnes poursuivies devant un tribunal sont condamnées. Motonari Otsuru va devoir faire des miracles pour éviter le pire à son client.