En France, la haute fonction publique est souvent vue comme une noblesse d’Etat, héritière des «charges» de l’Ancien Régime. Et les émoluments et autres avantages des hauts fonctionnaires les mieux servis font régulièrement polémique. Mais qu’en est-il dans les autres grands pays européens ?
Italie : une «caste» qui s’accroche à son salaire
Depuis le 1er janvier 2018, les fonctionnaires du Parlement italien ne sont plus soumis au plafond de 240 000 euros brut par an. Cette limite, fondée sur le principe que nul ne peut gagner plus que le chef de l'Etat, avait été fixée en 2011 par le gouvernement de Mario Monti et devait valoir pour tous les fonctionnaires. Une vraie révolution pour un pays habitué à des hauts fonctionnaires inamovibles et rémunérés parfois le double du chef de l'Etat - ce qui a provoqué d'innombrables polémiques politiques et alimenté les attaques contre la «caste». Au sommet de la police ou de la Rai (la télévision publique), la limite de 240 000 euros a fait grincer des dents. Certains directeurs de journaux auraient même refusé d'intégrer l'audiovisuel public en raison d'un salaire insuffisant. Mais toute une série de dérogations ont été prises pour éviter la fuite des grands commis de l'Etat vers le privé. Les sociétés semi-publiques et cotées en Bourse, comme les groupes énergétiques l'Eni ou l'Enel, ne sont par exemple pas soumises à la règle commune. Les fonctionnaires du Parlement ont eux aussi réussi à échapper au couperet. Si le Mouvement Cinq Etoiles (M5S) a toujours demandé d'abaisser «les coûts de la politique et du fonctionnement de l'Etat», au gouvernement, son partenaire de la Ligue n'envisage pas de revoir le plafond des rémunérations. «Les compétences doivent être payées, estime le ministre de l'Intérieur, Matteo Salvini. Qu'un administrateur public avec des milliers d'employés soit soumis à un plafond est une folie.»
Suède : modération et clarté totale
En ce qui concerne les salaires de leurs élites, les Suédois sont en général à l'abri de surprises. En quelques clics, n'importe qui peut savoir combien gagne le directeur d'une grande université ou d'une agence gouvernementale : environ 10 000 euros par mois en moyenne et jusqu'à 17 000, dans le cas le plus extrême, pour la directrice générale de l'Agence des transports suédois, Lena Erixon. C'est environ 200 euros de plus que le Premier ministre. Pour autant, «ces salaires n'ont pour l'instant jamais fait l'objet de débat», assure Carl Dahlström, professeur de sciences politiques à Göteborg. Dans un pays où chaque dépense publique est pourtant scrutée - en 1995, la numéro 2 du gouvernement Mona Sahlin a dû démissionner pour avoir acheté, entre autres, un Toblerone avec sa carte de fonction -, cela peut surprendre. Le médiateur suédois de la presse, Ola Sigvardsson, avance une explication : «Le fait que tous les salaires soient rendus publics évite peut-être justement de trop fortes critiques.» La Suède est en effet dotée d'un principe de transparence inscrit dans sa Constitution depuis 1776, et les salaires de tous les employés de l'Etat y sont très facilement consultables. Et ce malgré le fait que le statut de fonctionnaire n'existe plus en Suède comme il existe en France, depuis de profondes réformes dans les années 90 : désormais, les employés de l'Etat y sont en grande majorité soumis aux mêmes types de contrats que dans le privé.
Allemagne : indifférence et pragmatisme
On imagine souvent l'Allemagne comme un paradis luthérien dopé à l'efficacité jusqu'au moindre rouage de l'Etat fédéral. Mais la fonction publique souffre, là-bas aussi, d'une image assez négative au sein de l'opinion. Pour autant, la polémique sur le salaire des hauts fonctionnaires qui agite actuellement la France n'a pas vraiment lieu outre-Rhin, alors que les Allemands ne sont pas moins bien lotis. Au contraire. Selon une étude de l'OCDE de 2016 portant sur les hauts fonctionnaires en Europe, le salaire moyen d'un directeur d'administration centrale était de 13 000 euros en France contre 13 700 en Allemagne. Mais le sujet, tout comme la fiche de paie de l'ensemble des fonctionnaires, ne prête pas à controverse. A la suite d'un mouvement de grève au printemps, les 2,3 millions d'employés que compte la fonction publique allemande ont ainsi obtenu une revalorisation de 7,5 % de leurs salaires. Déjà en cours, elle sera de 3,1 % au 1er avril, et s'étalera jusqu'en 2020.