C’est le scénario du compromis. Au milieu de la nuit, le président de la Commission électorale nationale indépendante (Céni) a annoncé en direct à la télévision publique la victoire à l’élection présidentielle du 30 décembre de l’opposant Félix Tshisekedi, avec 38,57% des suffrages. Au bout du suspense, si l’on en croit les chiffres encore provisoires de l’instance électorale, ce n’est ni le candidat du pouvoir, Emmanuel Ramazani Shadary (23,8% des voix), ni la révélation de cette campagne, Martin Fayulu (34,8%), désigné «candidat commun de l’opposition» à Genève en novembre, qui sortent en tête de cette folle compétition.
Une consécration du premier risquait de faire exploser le pays, tant son impopularité était manifeste. Mais un triomphe du second, parrainé depuis Bruxelles par l’ancien seigneur de guerre Jean-Pierre Bemba et l’homme d’affaires Moïse Katumbi, deux ennemis personnels du président sortant, Joseph Kabila, était le cauchemar du régime. Le succès annoncé de Félix Tshisekedi, candidat de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), évite les deux écueils.
Sans précédent
Quoi qu’il en soit, son accession à la fonction suprême, si elle est confirmée, constituerait un événement sans précédent. Pour la première fois dans l’histoire du Congo, une alternance démocratique serait consacrée par les urnes. Félix, 55 ans, est le fils du mythique opposant Etienne Tshiskedi, qui ferrailla contre Mobutu, Kabila père, puis Kabila fils, avant de succomber à une embolie pulmonaire il y a deux ans. A l’automne, les «combattants» de son vieux parti, l’UDPS, ont refusé que lui, le favori des sondages, se retire de la course à la présidentielle au profit de Martin Fayulu à l’issue de la réunion de Genève. Vingt-quatre heures après l’avoir signé, Félix Tshisekedi reniait donc le pacte commun de l’opposition, sous la pression de la puissante «base» de sa formation.
Un autre leader allait le suivre dans cette voie : Vital Kamerhe, ancien président de l’Assemblée nationale, passé dans l’opposition en 2009 après avoir officié comme directeur de campagne du jeune Joseph Kabila. Les deux hommes ont conclu leur propre alliance. Un «ticket» avec, en cas de victoire, Tshisekedi à la présidence et Kamerhe à la tête du gouvernement. L’un est originaire du Kasaï, l’autre du Kivu, deux immenses réservoirs de voix. L’un est l’héritier d’un nom célèbre, l’autre apporte une solide expérience de gestionnaire et une fine connaissance de la politique congolaise. Le duo ne s’est pas séparé de la campagne. La casquette plate de Félix Tshisekedi (le même modèle que son père) et celle, américaine, de Vital Kamerhe sont apparues côte à côte sur toutes les scènes du pays.
«Putsch électoral»
Après plus de deux ans d'attente, trois reports du scrutin, et une nuit d'annonce sans fin, la déclaration de la Céni, intervenue à 3 heures matin, était autant espérée que redoutée. Des cris de joie ont retenti dans plusieurs quartiers de la capitale. Mais l'opposant le plus en vue de cette élection présidentielle, Martin Fayulu, a immédiatement dénoncé un «putsch électoral» au micro de RFI, dont le signal est coupé depuis une semaine en RDC. «Ces résultats n'ont rien à voir avec la vérité des urnes, s'est-il indigné. On a volé victoire du peuple congolais, et le peuple congolais n'acceptera jamais que sa victoire lui soit volée.» Les résultats de la Céni peuvent encore faire l'objet d'un recours devant la Cour constitutionnelle.
Pendant ce temps, au siège de l'UDPS, dans le quartier populaire de Limete, la silhouette massive de Félix Tshisekedi prenait toute la lumière. Le leader a prononcé un discours de réconciliation devant ses partisans : «Je suis heureux pour vous, peuple congolais. Ce processus, tout le monde pensait qu'il allait déboucher sur les affrontements et les violences, à l'effusion de sang, a rappelé l'opposant, se posant en garant d'une transition pacifique. Je rends hommage au président Joseph Kabila. Aujourd'hui, nous ne devons plus le considérer comme un adversaire mais plutôt comme un partenaire de l'alternance démocratique dans notre pays.»
Les observateurs de la société civile congolaise et de l'Eglise catholique, vigilants tout au long du processus électoral, ne se sont pas encore exprimés. Etonnamment, la première critique est venue de Paris. «Il semble bien que les résultats proclamés ne soient pas conformes aux résultats [réels], a affirmé le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, invité sur la chaîne CNews. M. Fayulu était a priori le leader sortant de ces élections.» Mais la réaction la plus attendue, et la plus imprévisible, sera celle de la rue congolaise. Demandera-t-elle justice pour Fayulu, qui s'estime floué ? Ou bien se satisfera-t-elle de ce triomphe historique de l'opposition ? La réponse pourrait intervenir dès ce jeudi.