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Libération
Récit

Aleksandar Vucic : la Serbie au régime sec

Surgi de l’extrême droite, l’ultralibéral président serbe devenu pro-Europe accumule la défiance et les casseroles.
Aleksandar Vucic à Belgrade, le 21 décembre 2018. (Photo ANDREJ ISAKOVIC. AFP)
publié le 11 janvier 2019 à 19h47

Le 7 janvier, il recevait de Moscou le prestigieux ordre d’Alexandre Nevski. Agé de bientôt 49 ans, deux fois marié et père de deux adolescents, le président serbe, Aleksandar Vucic, un corps immense omniprésent à la télévision, a l’élocution lente et le teint toujours fatigué. Cet enfant des barres d’immeubles de Novi Beograd, dans la banlieue de la capitale, est né d’une mère journaliste et d’un père économiste. Son adolescence, ce sont les dernières années de la Yougoslavie.

A 20 ans, il fréquente les hooligans de l’Etoile rouge de Belgrade, impliqués dans les émeutes lors d’un match de football à Zagreb, l’un des déclencheurs de la guerre de Croatie. Ces supporteurs violents s’organiseront bientôt en milices paramilitaires. Quatre ans plus tard, diplôme de droit en poche, il s’engage comme correspondant de guerre à Pale, en Bosnie-Herzégovine, le fief de Radovan Karadzic, le chef politique des séparatistes serbes.

En 2014, lorsqu'il est élu Premier ministre, son mentor, le chef de l'extrême droite serbe Vojislav Seselj, condamné par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre, dira de lui qu'il avait été «un excellent ministre de l'Information» à moins de 30 ans, sous Milosevic, pendant la guerre du Kosovo, tout en ajoutant : «Ce grand nationaliste est aujourd'hui un vassal des puissances occidentales.»

Raz-de-marée

La métamorphose «proeuropéenne» s’opère en 2008 : Aleksandar Vucic et Tomislav Nikolic fondent le Parti progressiste de Serbie. Tomislav Nikolic remporte la présidentielle de 2012 et Aleksandar Vucic, après avoir rongé son frein sur les bancs de l’opposition, devient vice-président du Parlement. Les perdants sont laminés et ce raz-de-marée électoral l’installe durablement au pouvoir, où il applique des mesures ultralibérales. Deux ans après, il devient Premier ministre et, en 2017, président de la République.

A Bruxelles, il jongle entre l'Est et l'Ouest et fait traîner avec son homologue kosovar Hashim Thaçi les négociations de normalisation des relations entre les deux pays, qu'il avait lui-même portées devant l'Europe. Les crises s'accumulent. A Belgrade, en 2016, des manifestations éclatent suite à des scandales de corruption visant son entourage. Un an plus tard, une nouvelle vague de protestations émerge «contre la dictature et pour des élections libres».

Criminels

Une autre affaire lui colle à la peau : le 16 janvier 2018, Oliver Ivanovic, le dirigeant de l’opposition serbe dans le nord du Kosovo, l’ancienne province autoproclamée indépendante en 2008, dix ans après un conflit sanglant, était assassiné devant les locaux de son parti. Depuis, l’enquête piétine. Cet adversaire du président Vucic, à qui il reprochait de protéger les milieux criminels serbes qui contrôlent la région, se savait menacé. Les manifestants qui disent «non à la violence» réclament la vérité sur sa mort. Une marche est prévue mercredi à Belgrade. Le lendemain, la Serbie accueillera le président de la fédération de Russie, Vladimir Poutine.