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Libération
Interview

Immigration : «Trump alimente lui-même la crise»

Pour l’universitaire spécialiste de l’immigration Laila Hlass, le président américain rabâche des contre-vérités xénophobes pour flatter sa base.
Donald Trump en déplacement au Texas, le long de la frontière avec le Mexique, jeudi. (Photo Leah Millis. Reuters)
publié le 11 janvier 2019 à 20h46

Professeure en droit de l’immigration à la Tulane University (Louisiane), spécialiste de la politique d’asile, Laila Hlass décrypte la rhétorique de l’administration américaine sur la situation à la frontière avec le Mexique.

Comme l’affirme Donald Trump, y a-t-il une crise à la frontière ?

Sur le plan sécuritaire d’abord, le Président ne dit clairement pas la vérité. Il n’y a aucune preuve que des intérêts de sécurité nationale soient menacés et que des terroristes, par exemple, aient tenté d’entrer aux Etats-Unis depuis le Mexique, comme l’administration Trump l’a affirmé à plusieurs reprises. Cela est faux. Ensuite, concernant la violence, un argument souvent brandi par le Président, il n’y a aucune corrélation entre immigration et criminalité. Au contraire, plusieurs études ont montré que les immigrés commettent moins de crimes que les personnes nées aux Etats-Unis. Enfin, même si le trafic de drogue via la frontière pose assurément de nombreux problèmes, il n’a rien à voir avec les demandeurs d’asile, qui constituent l’essentiel des personnes arrivant à notre frontière sud. La drogue pénètre en majorité via des points d’entrée légaux. Et rien ne prouve qu’un mur à plusieurs milliards de dollars fera quoi que ce soit pour résoudre le trafic de stupéfiants.

La Maison Blanche évoque aussi une crise humanitaire…

Cet argument est terriblement cynique car ce sont justement les politiques migratoires de l'administration Trump qui ont en quelque sorte transformé la situation à la frontière en crise humanitaire. Alors que le nombre de migrants arrêtés après avoir franchi la frontière sans autorisation est tombé depuis dix ans à un niveau historiquement bas [malgré un rebond en 2018, ndlr], on observe une augmentation du nombre de demandeurs d'asile venant d'Amérique centrale. La Maison Blanche a créé de nombreux obstacles pour ces demandeurs d'asile, en séparant les familles, en les forçant à attendre du côté mexicain de la frontière ou en allongeant les périodes de détention, y compris des enfants, dans des conditions dangereuses. Toutes ces actions ont nourri une crise humanitaire, qui affecte ces demandeurs d'asiles. Or il est crucial de rappeler que ces derniers ont le droit, en vertu des lois internationales et américaines, de chercher légalement l'asile aux Etats-Unis.

Donald Trump pourrait décréter une «urgence nationale», alors que, comme vous le soulignez, l’immigration irrégulière est à un niveau historiquement bas.

L’immigration irrégulière dans notre pays, qui comprend à la fois les gens traversant la frontière et ceux arrivés légalement mais restés aux Etats-Unis après l’expiration de leur visa, a atteint son pic dans les années 2000. Depuis la crise économique de 2008, elle a très nettement diminué, jusqu’à atteindre un niveau historiquement bas en 2017. Cela montre bien qu’il y a une déconnexion entre la situation réelle et la rhétorique de Trump. Il alimente lui-même la crise pour des raisons purement politiques. Il faut garder en mémoire que dès son premier discours de campagne, Trump a choisi de stigmatiser les immigrés, notamment mexicains, en les qualifiant de criminels, de violeurs et de trafiquants de drogue. Il n’a jamais abandonné cette rhétorique, très populaire au sein d’une frange de la population, à commencer par sa base électorale.

Trump assure que le mur est l’unique remède à la «crise». A vos yeux, quelles sont les solutions ou améliorations à apporter ?

La première est très simple : mettre fin au shutdown et rouvrir le gouvernement, pour que les tribunaux d’immigration et les agents chargés d’étudier les demandes d’asile puissent reprendre le travail. Ensuite, cette administration doit mettre fin à ses politiques visant à empêcher les migrants de chercher l’asile aux Etats-Unis. La manière la plus humaine et efficace d’aborder le sujet est d’autoriser les demandeurs d’asile à entrer aux Etats-Unis et à être représentés par un avocat, pas de les enfermer dans des camps aux conditions indignes où ils peuvent tomber malades. Deux enfants migrants détenus par les services migratoires sont morts récemment. Le Président veut que les migrants soient placés en détention pour s’assurer qu’ils se présentent à leur convocation au tribunal. Mais les recherches montrent que lorsque les gens sont autorisés à entrer et à être représentés par un avocat, ils se présentent presque toujours devant la justice. Il serait bien plus humain, et bien moins coûteux, de les relâcher en attendant que leur dossier soit étudié de manière complète et juste.