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Libération
Vu du Japon

La justice japonaise charge un peu plus Carlos Ghosn

Le patron déchu de Renault-Nissan s'est vu notifier deux nouveaux chefs d'inculpation pour avoir minoré ses revenus et «abus de confiance aggravé». Toujours emprisonné, il va droit au procès et la question de son maintien à la tête de Renault est posée.
La télévision japonaise diffuse des informations sur Carlos Ghosn sur un écran public à Tokyo, le 8 janvier 2019 (Photo Behrouz MEHRI. AFP)
publié le 11 janvier 2019 à 14h42
(mis à jour le 11 janvier 2019 à 15h39)

Et de trois. Alors que sa garde à vue arrive ce jour à expiration, Carlos Ghosn a appris ce vendredi dans sa cellule du centre détention Kosuge, au nord Tokyo, qu'il venait d'écoper de deux nouveaux chefs d'inculpation. Ses avocats menés par Motonari Otsuru ont immédiatement demandé une libération sous caution, tout en admettant qu'elle avait peu de chance d'aboutir. L'avenir semble s'assombrir encore pour l'ancien patron tout-puissant de l'alliance Renault Nissan Mitsubishi, maintenu en détention depuis son arrestation surprise le 19 novembre, qui semble désormais ne plus pouvoir échapper à un procès.

Carlos Ghosn avait déjà été mis en examen le 10 décembre pour avoir minoré ses revenus de 5 milliards de yens (environ 40 millions d'euros) dans des rapports financiers annuels de Nissan de 2010 à 2015. Il est désormais mis en examen pour avoir poursuivi cette pratique sur les trois derniers rapports financiers, de 2015 à 2018, pour un montant de 4 milliards de yens (environ 32 millions d'euros). Le troisième chef d'accusation, pour «abus de confiance aggravé», concerne un stratagème complexe grâce auquel Carlos Ghosn aurait fait passer dans les comptes de Nissan des pertes sur des investissements personnels lors de la crise financière de 2008. La somme incriminée s'élève cette fois à 1,85 milliard de yens (environ 15 millions d'euros).

Renault sous pression

Mardi à Tokyo, lors de sa première comparution devant un juge, le dirigeant de 64 ans avait clamé son innocence. «J'ai été accusé à tort et détenu injustement sur la base d'accusations sans valeur ni fondement», avait affirmé d'une voix forte le président déchu de Nissan qui était arrivé menotté, ceinturé d'une corde et chaussé de simples slippers, ces claquettes en plastique prisées par les Japonais pour se déplacer dans les lieux publics une fois déchaussés. Mais ce court plaidoyer n'a pas apparemment pas convaincu le juge et la litanie de mauvaises nouvelles n'est sûrement pas finie. Côté français, Renault a certes assuré hier qu'aucune fraude n'avait été constatée sur la rémunération des principaux dirigeants en 2017 et 2018, y compris pour celui qui est toujours son PDG.

Mais la pression monte aussi à Paris sur la direction de Renault et l'Etat français (actionnaire à 15% du constructeur automobile) depuis que Libération a révélé que Carlos Ghosn n'était plus résident fiscal français depuis 2012, et s'était domicilié aux Pays-Bas afin d'échapper à l'ISF sur sa fortune estimée à près de 200 millions de dollars par l'agence Bloomberg. Selon Reuters, Carlos Ghosn se serait aussi arrangé pour accorder un bonus occulte de 500 000 euros à l'une de ses fidèles, Mouna Sepehri, directrice déléguée à la présidence de Renault et en charge de la gouvernance en tant que secrétaire du conseil d'administration. Le versement se serait fait via la holding néerlandaise Renault Nissan BV, à l'insu du conseil d'administration de Renault, comme le suspectait la CGT. Dans ces conditions, le maintien de Carlos Ghosn à la tête de Renault pose de plus en plus question, même si le groupe est d'ores et déjà de facto dirigé par son numéro deux, Thierry Bolloré.

A Tokyo, le parquet japonais pourrait maintenant infliger à Carlos Ghosn un nouveau motif d’arrestation. Carlos Ghosn serait alors replacé en garde à vue pour 48 heures, extensible deux fois dix jours, à condition que le tribunal donne son approbation. L’accusation d’abus de confiance est considérée comme particulièrement grave et Motonari Otsuru avait déjà admis, lors d’une conférence de presse mardi, qu’une remise en liberté sous caution serait peu probable si les procureurs décident de cette inculpation. Or, selon l’avocat, il pourrait s’écouler six mois avant la tenue d’un procès.

«Sanctions sévères»

Carlos Ghosn était hier fiévreux et n’avait pu recevoir aucune visite, pas même de ses avocats ou des ambassadeurs de France, du Brésil ou du Liban. La fièvre serait retombée vendredi. Initialement détenu dans une petite cellule avec un sol traditionnel en tatamis sur lequel dormir, il a été transféré dans une cellule plus grande dotée d’un lit occidental. Il se plaindrait de ses repas à base de riz et aurait perdu plus de 10 kg. Il était en effet apparu mardi nettement amaigri après cinquante jours dans le centre de détention de Kosuge, au nord de Tokyo.

Carlos Ghosn n'est pas le seul visé par les procureurs de Tokyo. Son bras droit et ancien administrateur de Nissan, Greg Kelly, arrêté le même jour et mais libéré le 25 décembre sous caution, est également mis en examen pour malversation financière. Tout comme Nissan, en tant qu'entité morale ayant remis les documents incriminés. Le constructeur automobile japonais a par ailleurs déposé ce jour une plainte au pénal contre son ancien patron sur la base «de l'utilisation abusive par Carlos Ghosn d'un montant important de fonds de l'entreprise». «Nissan ne tolère en aucun cas des agissements de la sorte et appelle à des sanctions sévères», déclare le communiqué de l'entreprise qui affirme poursuivre son enquête interne.

Tensions entre Paris et Tokyo

Les relations entre la France et le Japon pourraient se tendre sérieusement puisque en parallèle, Tsunekazu Takeda, vice-président du comité d'organisation des jeux de Tokyo en 2020, vient d'être mis en examen pour «corruption active»… par la justice française. L'arrière-petit-fils de l'empereur Meiji, 71 ans, est une figure au Japon. Il en est à son dixième mandat à la tête du comité olympique japonais, qui s'apprêtait à passer outre la limite d'âge de 70 ans pour lui permettre d'obtenir un nouveau mandat en juin. Tsunekazu Takeda est soupçonné d'avoir autorisé le paiement de pots-de-vin en vue de l'obtention des Jeux olympiques de 2020. Selon le Monde, il aurait été interrogé en toute discrétion le 10 décembre par le juge d'instruction Renaud Van Ruymbeke. Mais, contrairement à Carlos Ghosn, il a pu repartir libre de l'entretien.