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Libération
Récit

Gbagbo et Blé Goudé acquittés, Abidjan déchiré

Accusés de crimes contre l’humanité, l’ancien président ivoirien et son homme de main vont être libérés par la Cour pénale internationale. Dans la capitale ivoirienne, mardi, les partisans exultaient, les victimes de la guerre civile étaient effondrées.
Laurent Gbagbo, mardi à la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye. (Photo Peter Dejong. AP)
publié le 15 janvier 2019 à 21h26

C'est en entendant les termes de «libération immédiate» qu'ils ont laissé éclater leur joie, dissipant la tension qui régnait dans la pièce. Mardi, les plus proches fidèles de l'ancien président ivoirien Laurent Gbagbo s'étaient réunis dans le salon d'Assoa Adou, le secrétaire général du Front populaire ivoirien (FPI), pour regarder ensemble la retransmission en direct du délibéré de la Cour pénale internationale (CPI). Dès l'annonce, ils ont bondi de leurs chaises, bras levés, tombant dans les bras les uns des autres, écrasant pour certains une larme, exultant. «C'est une joie immense qui envahit mon corps et mon esprit, a aussitôt réagi Assoa Adou. Nous venons de faire un grand pas vers la réconciliation nationale. Il y a quelques jours, sur instruction du président Laurent Gbagbo, nous sommes allés rencontrer les responsables religieux […] pour leur transmettre son message de paix et de réconciliation. Nous pensons que le chaînon manquant de la réconciliation en Côte-d'Ivoire va arriver bientôt. Et la Côte-d'Ivoire sera en paix.»

«Dindons de la farce»

Laurent Gbagbo, 73 ans, a été acquitté mardi par la CPI, qui a ordonné sa libération, ainsi que celle de Charles Blé Goudé, l’ancien chef du mouvement des Jeunes patriotes. L’ex-président était détenu depuis novembre 2011 dans la prison de Scheveningen à La Haye, jugé depuis 2016 pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre, notamment meurtres, viols et persécution commis lors de la crise post-électorale dans le pays fin 2010-début 2011. A cette époque, il excluait d’accepter sa défaite face à son rival, l’actuel président Alassane Ouattara. Les violences avaient fait plus de 3 000 morts en cinq mois, selon l’ONU.

«Pour les parents des victimes assassinées, c'est comme si la CPI venait de tuer leurs proches pour la seconde fois, cela a réveillé d'anciennes douleurs qu'elles essayaient d'accepter», affirme, abattu, Issiaka Diaby, le secrétaire général de l'Association des victimes et familles des victimes de Laurent Gbagbo. «Pour nous, association engagée contre l'impunité, la CPI est un géant aux pieds d'argile incapable de faire émerger la vérité, incapable de lutter contre l'impunité, incapable de garantir la non-répétition des crimes de masse. Avec tout ça, est-ce que cette institution doit encore exister ?» s'interroge-t-il.

D'après lui, «les victimes semblent avoir été les dindons d'une farce judiciaire». Plus fataliste, Ibrahima Diara, père de famille de 33 ans, tétraplégique depuis qu'une balle s'est logée dans sa moelle épinière le 4 mars 2011 dans le quartier d'Abobo, dit «accepter le verdict» : «Cela ne va rien changer à notre santé. Je vais accepter le verdict, c'est tout.»

Les partisans de l'ancien président sont convaincus : la libération puis le retour de Gbagbo en Côte-d'Ivoire seront synonymes d'une réconciliation des Ivoiriens. «C'est Laurent Gbagbo qui va envoyer la paix en Côte-d'Ivoire», assure Michel, un de ses partisans rencontré à Yopougon, fief de l'ancien président. Contrairement au mois dernier où des rumeurs de libération y avaient entraîné des manifestations massives, les rassemblements ont été mardi beaucoup moins nombreux. Mais la police avait été déployée en nombre. «Sa sortie va ramener la paix et la vraie réconciliation», estime également Stéphane, encarté au FPI depuis plus de dix ans, présent mardi matin dans la cour de la résidence du quartier de Riviera Golf de Simone Gbagbo, l'épouse de l'ex-président. Comme des centaines d'autres sympathisants, il est venu ici célébrer ce délibéré sur une musique poussée au maximum, avec cris et danses.

«Je suis dans la joie», a commenté de son côté la propriétaire des lieux, hôte de la journée. «Je sais ce que c'est que d'être en prison, mais moi, encore, j'étais ici. J'avais la possibilité de manger mon atiéké [plat national à base de manioc, ndlr], mon foutou [plat à base de banane plantain] mais [Gbagbo], il est dans un pays froid et loin des siens. C'est horrible, c'est méchant. Aujourd'hui, on lui rend justice et je rends gloire à Dieu.»

Alliance

Simone Gbagbo, elle, a bénéficié d'une amnistie du président ivoirien Alassane Ouattara, alors qu'elle purgeait une peine de vingt ans de prison en Côte-d'Ivoire pour «atteinte à la sûreté de l'Etat» prononcée en 2015. Depuis sa libération en août, l'ex-première dame est restée discrète, se contentant de quelques apparitions publiques, sans pour autant délaisser le FPI, dont elle est vice-présidente. Un parti confronté à une crise interne à moins de deux ans de l'élection présidentielle. Le décès début novembre d'Aboudramane Sangaré, fidèle compagnon de route de Gbagbo, président par intérim et premier vice-président du FPI, avait ravivé les tensions. Depuis sa prison, Gbagbo n'avait laissé aucune chance à des prétendants pour lui succéder et expliqué assumer désormais «pleinement la direction» du parti.

Plus récemment, Henri Konan Bédié, président du principal parti d’opposition de Côte- d’Ivoire, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), a affirmé sur France 24 avoir obtenu son accord pour une alliance en vue de la présidentielle de 2020. Le PDCI était jusqu’au mois d’août l’allié du parti au pouvoir, le Rassemblement des Républicains (RDR). Les cartes de la politique ivoirienne sont rebattues, il faudra désormais compter sur un nouveau joueur.