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Coalition

Suède : après 131 jours de blocage, le gouvernement retourne à la case départ

L'accord de gouvernement, qui reconduit le Premier ministre sortant Stefan Löfven, s'est fait au prix de nombreuses concessions à la droite libérale.
Le Premier ministre suédois Stefan Löfven lors d'une conférence de presse après sa reconduction, le 18 janvier 2019 à Stockholm. (Photo Jessica GOW. AFP)
publié le 18 janvier 2019 à 13h33

Après quatre mois d'impasse, le parlement suédois a finalement reconduit un gouvernement minoritaire de coalition entre sociaux-démocrates et verts, dirigé par le Premier ministre social-démocrate sortant Stefan Löfven. Et ce malgré le score historiquement faible de la coalition aux élections législatives. Ce gouvernement a été soutenu au Parlement par deux partis de centre droit, en échange de la signature d'un accord politique à l'orientation très libérale. Ce vote marque l'épilogue d'une «série Netflix», comme l'ancien Premier ministre de droite Carl Bildt a surnommé sur Twitter ces 131 jours d'incertitude, parsemés de petits arrangements et de concessions, dont la plupart des partis ne sont pas sortis indemnes. «Le paysage politique suédois a changé, et il y a eu une nécessité de trouver de nouvelles allégeances», analyse le politologue Jonas Hinnfors.

Les élections législatives n'ayant offert de majorité à aucun des blocs traditionnels, de droite comme de gauche, ils ont donc dû trouver d'autres soutiens au Parlement. Les deux partis les plus conservateurs de l'alliance de centre droit, les modérés et les chrétiens-démocrates, étaient prêts à dépendre du soutien des démocrates de Suède (SD, extrême droite), troisième parti du pays. Cette alternative a été rejetée par leurs alliés libéraux et centristes, qui avaient fait de leur indépendance vis-à-vis des SD une des pierres angulaires de leur campagne. Mais la leader du parti centriste Annie Lööf avait aussi assuré en 2015 «préférer manger (s)a chaussure que de servir de petites roues à un gouvernement social-démocrate». Entre ces deux positions incompatibles, il lui a fallu choisir. Finalement, les centristes et les libéraux ont préféré soutenir un gouvernement de coalition entre les sociaux-démocrates et les verts, et ont donc fait défection à l'alliance de droite. «Nous avons choisi de tolérer un gouvernement qui ne dépendrait pas des SD», s'est justifiée Annie Lööf avant le vote. «Une erreur historique», a réagi Ulf Kristersson, le leader des modérés.

«Réformes "bourgeoises"»

«Pour les sociaux-démocrates, l'explosion de l'alliance est une énorme victoire stratégique», souligne Nicholas Aylott, professeur de sciences politiques en Suède. Le soutien des centristes et des libéraux n'est cependant pas gratuit. En échange, la coalition au gouvernement a signé avec eux l'«accord de janvier», composé de 73 mesures dont plus de la moitié sont des propositions centristes ou libérales. Huit d'entre elles sont directement en contradiction avec les promesses de campagne des sociaux-démocrates. «L'accord contient plus de réformes "bourgeoises" que nous avons pu en faire passer lors du dernier gouvernement de l'alliance», s'est félicité le chef de file des libéraux, Jan Björklund.

Parmi les propositions, la fin du système d’ancienneté des employés, une réforme du marché locatif, la suppression de la tranche la plus élevée de l’impôt sur le revenu, ou l’abandon de réformes visant à interdire ou limiter le profit dans le secteur public, dont l’éducation et la santé.

«C'est plutôt Stefan Löfven (le Premier ministre) qui sert de petites roues au Centre», a ironisé Johan Norberg, un éditorialiste libéral suédois. «Pendant quatre ans, nous serons l'ongle libéral dans l'œil des sociaux-démocrates», a commenté la leader centriste Annie Lööf. «Cette nouvelle coopération pourrait s'effondrer très rapidement, ou pourrait se développer en un nouveau bloc social-libéral», analyse Jonas Hinnfors.

Politique macroniste

L'«accord de janvier» impose également l'exclusion du Parti de gauche de toute influence sur la politique gouvernementale, comme condition du soutien des libéraux et des centristes au gouvernement. Jusqu'alors allié aux sociaux-démocrates, le Parti de gauche a été mis face à un choix : voter blanc au Parlement vendredi et permettre à un tel gouvernement d'accéder au pouvoir, ou voter contre et risquer de faciliter la formation d'un gouvernement de droite soutenu par l'extrême droite. Finalement, le parti a voté blanc, mais a menacé le gouvernement d'une motion de défiance si certaines des mesures étaient appliquées. «Nous sommes désormais l'opposition de gauche», a clamé son leader, Jonas Sjöstedt. «Pour la première fois depuis vingt ans, le Parti de gauche est entièrement indépendant des sociaux-démocrates, et libre de s'y opposer», relève le politologue Jonas Hinnfors, pour qui l'opposition des deux côtés de l'échiquier politique pourrait être renforcée. Le leader du Parti des démocrates de Suède, Jimmie Åkesson, s'est dit prêt à «devenir une force importante dans une nouvelle constellation conservatrice suédoise».

Au sein même de la coalition gouvernementale, des critiques se font déjà entendre. Trois élus écologistes ont quitté leur parti cette semaine. «L'adoption de ces politiques néolibérales par la coalition rouge-verte n'est pas honnête vis-à-vis des électeurs», considère Annika Lillemets, élue du parti pendant vingt ans, qui compare le nouveau positionnement du gouvernement à la politique macroniste en France. «A court-terme, cela paraît peut-être mieux qu'un gouvernement ouvertement de droite, mais à long terme, cela va être dévastateur et va faire de l'extrême droite la seule opposition crédible.»