Le cortège n’a pas manqué de huer copieusement l’une des tours que possède Donald Trump à Manhattan, au sud de Central Park. C’est au pied du Trump International Hotel and Tower que débutait en effet, ce samedi, la troisième édition de la Women’s March à New York. Les manifestants, dont de nombreuses femmes, en feront de même un peu plus loin sur la Sixième Avenue devant les locaux de News Corporation, le groupe propriétaire de Fox News, chaîne acquise à Donald Trump et au camp républicain. Outre la marche principale à Washington DC, des manifestations étaient organisées dans de nombreuses villes américaines. Avec une tonalité toujours aussi politique que lors des éditions précédentes, deux ans après l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, mais galvanisées cette fois par les victoires démocrates et féminines des élections de mi-mandat, en novembre. Et l’élection présidentielle de 2020, déjà, en ligne de mire.
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Pussyhat
«C'est vrai que ça m'a redonné espoir, sourit Ashley, qui travaille dans un hôtel à Albany, la capitale de l'Etat de New York. Les midterms ont montré qu'il y avait plein de femmes fortes dans ce pays, à la fois pour être élues et pour les élire.» Un nombre record de femmes ont été élues au Congrès lors des élections parlementaires de novembre, et les démocrates ont repris la Chambre des représentants. «Surtout, on commence à avoir un Congrès qui nous ressemble», se félicite Johana, une jeune travailleuse sociale d'origine mexicaine, «de toutes les manifestations depuis l'élection de Trump», assure-t-elle. «Fuck R. Kelly», enjoint sa pancarte d'un côté, «Protégez les filles de couleur» de l'autre, en référence aux accusations de pédophilie et d'agressions sexuelles dont le chanteur est l'objet.
Troisième édition de la @womensmarch, ce samedi, 2 ans après l’investiture de Donald Trump. Les messages, très anti-Trump et contre les politiques de son administration, concernent les droits reproductifs, le shutdown, le changement climatique, l’immigration... (ici à New York) pic.twitter.com/GqhwegnzXP
— Isabelle Hanne (@isabellehanne) January 19, 2019
Diane, une retraitée de 61 ans, est elle venue du Connecticut. «Tout ce que je souhaite, c'est qu'en 2020, on élise un président, démocrate ou républicain, qui se préoccupe des Américains, et pas juste de sa petite personne», avance-t-elle. Comme beaucoup de manifestants, elle arbore un «pussyhat», ces bonnets roses en forme de tête de chat, devenus le symbole de la mobilisation des femmes lors de la première marche, au lendemain de l'investiture de Trump en janvier 2017. Elle a également tricoté celui de Tony, un voisin qui l'accompagne, cette fois aux couleurs du drapeau jamaïcain, son pays d'origine. «Trump a fait du mot "immigré" une insulte, s'agace ce chauffeur routier. On est tous des immigrés ici! Toute cette démagogie, tous ces fake news, ces appels aux bas instincts… Et pendant ce temps, rien n'est fait, et le gouvernement est embourbé dans le shutdown.»
Baby-sitter
Ce samedi marquait en effet le vingt-neuvième jour du plus long shutdown de l'histoire, cette paralysie partielle du gouvernement. Plus de 800 000 employés fédéraux ont été mis au chômage technique ou doivent travailler sans être payés, pris dans un bras de fer entre Donald Trump et le Congrès. Le second refusant de voter une loi budgétaire pour financer le mur à la frontière sud qui obsède le premier. Dans le cortège de samedi, de nombreuses pancartes évoquent d'ailleurs la condition de ces employés privés de salaire, ou parodient Trump en Humpty Dumpty juché sur son mur, duquel il finit par tomber si l'on en croit la comptine anglaise. Samedi après-midi, le président a fait des propositions – extensions de permis de séjour et statut temporaire à environ un million de migrants qui risquent d'être expulsés des Etats-Unis –, en échange du financement du mur. Avant même son discours, la chef de la majorité démocrate à la Chambre Nancy Pelosi avait déjà rejeté l'offre, éventée dans la presse.
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Comme pour les autres éditions, les slogans de la troisième Women's March ratissent large. Contre le harcèlement sexuel et les violences faites aux femmes, pour l'égalité salariale hommes-femme ou le droit à l'avortement… Mais également, des appels à la destitution de Trump, à la solidarité envers les migrants, pour une plus ferme régulation des armes à feu, la lutte contre le changement climatique… Et avec esprit et créativité, comme souvent dans les manifestations américaines - «Obama, tu rentres bientôt à la maison ? La baby-sitter est bizarre», «J'ai vu des cabinets plus intelligents à Ikea.»
Divisions internes
A New York, les organisatrices attendaient 100 000 personnes. Mais à cause de divisions internes au sein des fondatrices de la Women's March, il y avait deux rassemblements distincts ce samedi à New York comme dans d'autres villes. Accusant certaines fondatrices d'antisémitisme – l'une des co-présidentes a notamment participé à un meeting du leader du mouvement «Nation of Islam» Louis Farrakhan, aux propos régulièrement antisémites – un clan a choisi cette année de faire bande à part. La militante américano-palestinienne Linda Sarsour, autre co-présidente, a réfuté les accusations en assuré que l'organisation existait justement «pour combattre l'intolérance et la discrimination sous toutes ses formes, dont l'homophobie et l'antisémitisme».
«C'est vraiment absurde, je ne savais pas où aller, regrette Jordan, un étudiant de 24 ans, qui s'est finalement rendu au rassemblement de Foley Square, au sud de Manhattan. Ça a donné beaucoup de confusion à la mobilisation.» Lucy, une manifestante de 66 ans, fait une moue agacée : «Quel dommage ! Ces jeunes ont réussi à créer un mouvement dingue en partant de rien, et là elles se tirent dans les pattes. Alors que c'est toujours la même histoire : un mouvement qui se divise, c'est un mouvement qui s'affaiblit.» Cette formatrice pour enseignants, «militante féministe depuis toujours», se félicite néanmoins de l'avancée de la cause ces dernières années. «On a quand même commencé à sortir de l'obscurité. Quand j'étais jeune, le harcèlement sexuel était quasiment la norme. Mais on avance millimètre par millimètre, et il ne faut surtout pas rester assis et s'en satisfaire.»
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