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Libération
Gaza

Rafah, point de passage et de tension

C’est par cette ville que les Gazaouis rejoignent l’Egypte. L’ouverture du poste-frontière, comme sa fermeture, dépend des agendas politiques.
Au point de passage de la frontière à Rafah, jeudi. (Photo Said Khatib. AFP)
publié le 24 janvier 2019 à 19h56

Rafah, mi-décembre. Lors de notre rencontre dans son petit bureau au cœur du vaste et déserté poste-frontière entre Gaza et l’Egypte, Nahed al-Tartouri évoquait un peu gêné les «complications politiques» inhérentes à son job. Le chef de la police douanière de l’Autorité palestinienne (la sulta, en arabe), moustache poivrée et costume crème, uniforme à épaulettes sous clé derrière une belle vitrine, avait moult maux de crâne.

Les Egyptiens qui, d'après lui, traitaient indignement ses compatriotes qui revenaient «avec des larmes sur les joues et des valises pleines de sable». Les hommes du Hamas, le mouvement islamiste au pouvoir à Gaza, qui lui interdisaient de porter son uniforme de loyaliste au président Mahmoud Abbas en dehors du poste-frontière et lui tendaient chaque jour une liste de Gazaouis autorisés à sortir du territoire, ramenant son rôle à celui de factotum symbolique. Et puis aussi Abbas, son président, qui menaçait de faire s'abattre de nouvelles sanctions sur l'enclave, dans le bras de fer qui l'oppose au Hamas. Parmi les mesures envisagées, le retrait d'Al-Tartouri et ses seconds de la sulta, qui avaient pu reprendre leurs quartiers en novembre 2017 et rouvrir sporadiquement le poste-frontière, à l'occasion d'un rare geste de détente en vue d'une réconciliation intrapalestinienne restée sans suite.

Trafic

Finalement, le 6 janvier, Abbas, pour se venger de l’arrestation de plusieurs responsables du Fatah à Gaza, donna l’ordre à ses fonctionnaires d’abandonner leurs postes à Rafah. Entraînant de facto la fermeture de l’unique point de sortie de l’enclave, l’Egypte d’Al-Sissi ne souhaitant pas collaborer trop ouvertement avec le Hamas, lié aux Frères musulmans.

Entre mars 2018 et janvier 2019, les Egyptiens avaient consenti à ouvrir la frontière cinq jours par semaine, laissant entrer environ 300 personnes quotidiennement afin de faire baisser les tensions liées à la «Marche du retour». Rapidement, un trafic s'était mis en place. Des agences palestiniennes bien connectées avec les douaniers égyptiens proposaient des forfaits exorbitants pour gruger les listes d'attente. «Un trafic à 150 000 dollars par jour, qui arrangeait bien tout le monde», raconte un journaliste gazaoui sous couvert d'anonymat. Sur toute l'année 2018, 55 000 Palestiniens avaient ainsi pu sortir de l'enclave sous blocus. «La moitié ne sont pas revenus, concédait alors Nahed al-Tartouri. Ici, pas de touristes : les gens qui partent, c'est soit pour se soigner, soit pour fuir vers une vie meilleure.»

Précipice

Les dernières semaines ont vu de légères améliorations. Grâce aux livraisons en fioul payées par le Qatar, l'électricité est revenue dans l'enclave, environ seize heures par jour, confort que les Gazaouis avaient perdu depuis des années. Le Qatar s'est aussi engagé à payer les salaires des fonctionnaires du Hamas à hauteur de 15 millions de dollars par mois. Des versements transitant par Israël et donc soumis à leur bon vouloir. Ce «cash pour du calme» (dixit la presse israélienne) est devenu l'enjeu de toutes les pressions. Les opposants au Premier ministre Benyamin Nétanyahou y voient un racket intenable à long terme. Et quand «Bibi» met un veto sur la livraison des valises de billets, la réponse des groupes armés palestiniens est immédiate.

Mardi, deux soldats israéliens ont été la cible de snipers gazaouis à la frontière. Ont suivi des tirs d'artillerie sur des postes d'observation du Hamas, tuant un militant, et un raid aérien sur un camp d'entraînement. Jeudi, le Hamas a annoncé qu'il refusait l'aide qatari à cause de nouvelles conditions israéliennes... Le précipice de la guerre n'est jamais loin. Et reste dans toutes les têtes. En témoigne la campagne du général Benny Gantz, ex-chef de Tsahal et rival de Nétanyahou dans les sondages, dont les vidéos virales vantent la destruction qu'il avait infligée en 2014 à Gaza, renvoyée «à l'âge de pierre». Son slogan ? «Seul le fort gagne»