Y a-t-il une identité européenne ? Sur ce sujet académique, on peut disserter des heures. Il y a en revanche – base plus solide – une culture européenne. Celle de la Renaissance avec Erasme ou Galilée, celle des Lumières avec Locke ou Voltaire, du romantisme avec Byron ou Hugo, de la démocratie et de la paix avec Zweig ou Camus, qui croit aux valeurs communes, au génie de la liberté, à la puissance de la raison, à la richesse des différences, aux forces de la création, aux écrivains, aux artistes, aux philosophes. Aujourd’hui, cette Europe-là se mobilise. C’est le sens de l’appel que nous publions, rédigé par Bernard-Henri Lévy et signé par les plus grands écrivains du continent (et d’ailleurs), qui sont des monuments dans leur pays et dans le monde.
Car l’incendie gagne. Sur le terreau de la crise sociale, au cœur d’une mondialisation sans projet qui obscurcit l’avenir, les peuples – pour être plus précis, une partie du peuple, notamment dans les classes populaires – cherchent refuge dans l’exaltation des identités nationales, dans le discours mensonger des démagogues, derrière des frontières qu’on veut refermer pour s’en faire de fallacieux parapets.
Dans cette bataille, l’argument de la paix ne suffit plus. Il est certes décisif à l’échelle de l’Histoire : au moment où l’on parle tant du principe de précaution, du legs de notre génération aux générations futures, ne serait-ce pas la moindre des choses que de transmettre à ceux qui nous suivront l’assurance d’un continent sans guerre ? Mais, comme le temps passe, l’oubli et l’ignorance progressent. La paix européenne est comme l’air qu’on respire : on mesurera son prix quand elle manquera. Pour l’instant, l’inquiétude sociale et l’impuissance économique occupent les esprits. Si l’appel des écrivains a un sens, c’est bien de rappeler que l’Histoire doit appartenir aux hommes et aux femmes, qu’elle dépend de l’esprit des peuples, de leur imaginaire et de leur âme, non des forces impersonnelles du marché ou des fantasmes nés de la peur. Ce texte est un cri de ralliement : le temps de la défensive est passé. Pour ceux qui croient à une civilisation future, aux vertus de la liberté, aux bénéfices de la coopération et de l’échange, il est temps de montrer leur audace et leur volonté. Et d’abord sur le sujet le plus crucial : la question sociale, point faible du libéralisme économique qui domine depuis longtemps la politique de l’Union et qui creuse sans cesse le fossé entre les classes dirigeantes et la population.
L'Europe est plus solide qu'on ne le croit, surtout quand on observe le marécage dans lequel les brexiters ont jeté le Royaume-Uni. Mais elle est souvent terre à terre, décevante, et oublie qu'elle a été présentée aux peuples comme une union protectrice. Elle peut, elle doit, redevenir un idéal.