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Libération
Egypte

Devant Al-Sissi, Macron parle droits de l’homme

A l’étonnement général, le président français a profité de sa visite officielle au Caire, lundi, pour vanter les mérites du respect de l’Etat de droit devant le maréchal qui dirige le pays.
Emmanuel Macron et le maréchal Abdel Fatah al-Sissi aau pâlmais présidentiel du Caire lundi. (Photo Ludovic Marin. AFP)
publié le 28 janvier 2019 à 19h37

Pas la moindre arme vendue, ni autre contrat commercial substantiel signé. Et la question des droits de l’homme ouverte publiquement. Emmanuel Macron a cassé la routine des relations habituelles et controversées entre la France et l’Egypte, lundi, au cours de sa visite officielle au Caire auprès du maréchal Abdel Fatah al-Sissi. Il avait laissé entendre la veille lors d’une rencontre avec la presse qu’il s’apprêtait à engager «un dialogue de vérité» avec le président égyptien au sujet des droits de l’homme. Au-delà de toute attente, le sujet a occupé presque entièrement la conférence de presse commune tenue par les deux chefs d’Etat à l’issue de leurs entretiens dans la matinée de lundi, au palais présidentiel.

«Meilleur rempart face à l’extrémisme»

C'est donc un dialogue de sourds, voire une passe d'armes, qui a eu lieu entre Macron et Al-Sissi, quand ils ont répondu aux questions des journalistes. Les micros ont grésillé soudain après le propos liminaire du président français, qui a énuméré les différentes composantes – économique, politique, sécuritaire ou culturelle –, du «partenariat stratégique» entre la France et l'Egypte, au moment où il entamait une phrase sur la stabilité nécessaire mais «dans le respect des libertés». Reprenant la parole, Macron a évoqué la nouvelle loi controversée qui étrangle l'activité des ONG en Egypte, ainsi que les arrestations de militants, expliquant que «l'expression d'une société dynamique était le meilleur rempart face à l'extrémisme».

A l'étonnement général, celui qui s'était refusé à donner des leçons en octobre 2017 au président Al-Sissi qu'il recevait à Paris, ne s'en privait plus. Interrogé par un journaliste égyptien sur cette «nouvelle politique française en matière de droits de l'homme», Macron en a remis une couche sur «la France qui a des principes et doit les affirmer». Face à lui, Abdel Fatah al-Sissi, le visage fermé, regardait en l'air et se concentrait sur la traduction dans ses écouteurs, préparant sa réponse. Après une nouvelle question sur d'éventuelles mesures concrètes pour la libération de certains détenus d'opinion, le président égyptien s'est lancé dans une diatribe contre ceux qui se préoccupent du sort de «quelques blogueurs», alors que lui doit faire face aux «immenses défis» qui touchent 100 millions d'Egyptiens. Evoquant pêle-mêle la lutte contre le terrorisme, la natalité galopante, la pauvreté, la bataille contre l'hépatite C, le risque du chaos qu'il a épargné à l'Egypte alors que d'autres pays de la région sombrent dans la guerre civile, Al-Sissi, montant le ton, a fini par exiger «qu'on ne regarde pas l'Egypte avec des yeux d'Européens !» Et d'ajouter : «Nous ne sommes pas comme l'Europe ou comme l'Amérique […], on ne peut pas imposer à toutes les sociétés un seul chemin.»

Dans ce qui ressemble fort à une riposte préparée d'avance, un journaliste égyptien a interrogé Emmanuel Macron sur les gilets jaunes, en exprimant «la peine qu'avait causé en Egypte la mort d'une dizaine de personnes en France», en marge des manifestations. Le chef de l'Etat français a répliqué du tac au tac avec une diatribe sur «la force de notre démocratie et nos libertés garanties par la constitution, dont celle de manifester pacifiquement». Il a «déploré» que onze personnes aient perdu la vie depuis le début de la crise sociale, tout en précisant qu'aucune n'a «été victime des forces de l'ordre».

Rattrapage

«Je recommence à respecter Macron», réagit une jeune journaliste égyptienne qui vient de suivre en direct à la télévision la conférence de presse animée entre les deux présidents. «C’est important que les Egyptiens puissent entendre ces arguments contradictoires», ajoute la jeune femme qui préfère ne pas être nommée de peur «d’avoir des problèmes». Les démocrates égyptiens qui avaient été profondément déçus par la sortie d’Emmanuel Macron en 2017 sur la non-ingérence dans les droits de l’homme devraient être réconfortés par sa nouvelle attitude. En guise de rattrapage sur les rendez-vous manqués avec la société civile égyptienne, Macron doit rencontrer successivement ce mardi matin Tawadros II, pape copte d’Egypte, pour une visite de la cathédrale et d’une église, puis le grand imam d’Al-Azhar, la plus haute autorité religieuse d’Egypte. Une toute dernière rencontre, non mentionnée sur l’agenda officiel, concerne plusieurs défenseurs des droits de l’homme au Caire.