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Libération
Chronique «A l'heure arabe»

Maroc : l'association Racines menacée d'arrachage

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Menacée de dissolution parce qu'elle a permis le tournage d'une émission critique dans ses locaux, l'association culturelle Racines va faire appel ce mardi.
Capture d'écran du sixième numéro de l'émission «1 dîner 2 cons», tournée en août dans les locaux de l'association «Racines». (DR)
publié le 29 janvier 2019 à 7h48

Toutes les semaines, chronique de la vie quotidienne, sociale et culturelle dans les pays arabes.

La dissolution de l'association culturelle Racines est un nouveau coup porté à la liberté d'expression au Maroc. Elle a été prononcée en décembre par le tribunal de première instance de Casablanca. «Racines va faire appel ce mardi pour pouvoir continuer ses activités jusqu'au bout», assure à Libération Aadel Essaadani, le coordinateur général de l'association. Lequel ajoute qu'un appel à sauver l'association, signé par 200 personnalités marocaines et internationales, dont les écrivains Leïla Slimani, Fouad Laroui, le cinéaste Ken Loach ou encore l'intellectuel Noam Chomsky, doublé d'une pétition, sera lancé vendredi.

Racines, installée à Casablanca, défend dans plusieurs pays d'Afrique l'intégration de la culture dans les politiques publiques. L'association est accusée d'avoir «organisé une activité comprenant des dialogues qui portent de graves atteintes envers les institutions étatiques et la religion islamique» en hébergeant simplement le tournage de l'émission 1 dîner 2 con, en août, dans ses locaux. L'émission, inspirée de 93 faubourg Saint-Honoré (un programme de Paris Première animé par Thierry Ardisson), est diffusée tous les trois mois depuis 2016 sur sa chaîne YouTube qui compte plus de 28 000 abonnés. Elle invite des journalistes, des artistes, des intellectuels à débattre, autour d'un dîner, de sujets politiques et sociaux de façon libre et décomplexée.

Critique du discours royal et de la répression du Hirak

Lors du sixième épisode, «l'Epopée des nihilistes» (500 000 vues au compteur), tourné donc chez Racines, des participants ont fustigé le discours royal annuel de la fête du trône, dans lequel Mohammed VI a refusé d'aborder frontalement le sujet du Hirak – le mouvement de protestation qui a enflammé la ville d'Al Hoceïma en 2016 et 2017. Les invités ont par ailleurs critiqué la condamnation des militants du mouvement en question à des peines allant jusqu'à vingt ans de prison, comparé le régime marocain à «l'Etat policier sous l'ère Ben Ali en Tunisie», et dénoncé la corruption de fonctionnaires… «Plusieurs opinions politiques ont été exprimées» dans l'émission, reprochent les autorités à Racines, sans compter la mise en évidence de bouteilles d'alcool, considérée comme «contraire à la morale publique».

Racines est un incubateur de structures culturelles qui œuvre depuis 2010 à faciliter l'accès à la culture aux Marocains en délocalisant régulièrement ses activités dans des régions déshéritées. «Notre but est d'évaluer les politiques publiques culturelles au Maroc et de faire un état des lieux parce que l'Etat n'est pas en capacité de le faire», pointe Aadel Essaadani. Et d'alerter : «La dissolution de Racines est un signal donné aux autres associations qui font preuve de "trop" de liberté d'expression. Les autorités s'en prennent à nous parce que nous sommes une structure légale… D'ailleurs, 1 dîner 2 cons continue à vivre puisque le huitième épisode est en tournage.» Quant aux bouteilles d'alcool, ce n'est pas un fait nouveau puisque l'émission a déja été tournée dans des bars de Casablanca avec le même dispositif.

Une vague de soutien s’intensifie

Les ONG Amnesty International et Human Rights Watch (HRW) appellent les autorités marocaines à «renoncer immédiatement» à dissoudre l'association. «Les autorités envoient un message glaçant aux journalistes et commentateurs critiques qui se font de plus en plus rares au Maroc. Et ce message est : taisez-vous !» a déclaré la directrice Moyen-Orient et Afrique de HRW, Sarah Leah Whitson. Depuis quelques jours, des photos d'acteurs culturels marocains et étrangers brandissant une pancarte en soutien à l'association avec #LaCultureResteLaSolution تبقى_الثقافة_هي_الحل# circulent sur les réseaux sociaux.


Dans le classement mondial 2018 de Reporters sans frontières, le Maroc est à la 135e place et se situe dans la zone «rouge» que RSF qualifie de «situation difficile».