Menu
Libération

HNA, le petit protégé du PCC aux milliards de dettes

Derrière l’obscure organisation de charité qui détenait près d’un tiers du conglomérat au moment de la mort de Wang Jian en France se cacherait le vice-président du Parti communiste chinois.
publié le 30 janvier 2019 à 20h46

HNA n'aura pas mis longtemps à faire le deuil de son cofondateur. Deux jours après la mort brutale de Wang Jian en France, ses parts étaient transférées à une obscure organisation de charité, mettant fin en un clin d'œil à une success story d'un quart de siècle. Hainan Airlines a vu le jour en 1993, à la requête du Parti. Chen Feng, un ancien de la Force aérienne chinoise, est alors chargé de créer une compagnie régionale pour acheminer amateurs de plage et randonneurs sur l'île de Hainan, à l'extrême sud du pays. Il se lance dans l'entreprise avec Wang Jian, né en juillet 1961 à Tianjin et spécialisé dans l'aviation civile. Le paradis tropical vient d'être classé «zone économique spéciale» et ouvert aux investissements étrangers. Surdoué en affaires, Wang Jian entrevoit les opportunités de développement.

Aidé dans l'ombre par son frère, un jeune businessman local qui fournit secrètement services et matériel à la petite compagnie aérienne, il commence à se diversifier, et crée en 2000 le groupe Hainan Airlines (HNA). Celui-ci investit d'abord dans des compagnies chinoises, puis met le pied en Europe avec la portugaise TAP ou la française Aigle Azur. Il entre au capital de centaines d'entreprises autour du globe, spécialisées dans la manutention aéroportuaire ou la location d'avions. Mais HNA ne se limite pas au secteur aérien. Hôtellerie, finance, immobilier, haute technologie, rien ne semble l'arrêter. En quelques années, le holding dépense plus de 50 milliards d'euros, grâce à une stratégie basée sur le surendettement et financée par les banques chinoises. Selon un de ses partenaires en affaires, «Wang Jian avait une très grande intelligence pour le commerce. Mais HNA n'aurait pas réussi si l'Etat chinois ne l'avait pas protégé».

Boulimie. Fin 2016, le vent tourne. Face au ralentissement de l'économie nationale, Pékin demande aux conglomérats de rapatrier leurs capitaux pour soutenir la croissance domestique. HNA est endetté à hauteur de près de 80 milliards de dollars et doit dégraisser. Le groupe s'exécute, et cède pour 17 milliards de dollars d'actifs sur la seule année 2017. «L'Etat chinois a demandé aux entreprises de se recentrer sur leur corps de métier», précise Edward Tsé, fondateur de la boîte de conseil chinoise Gao Feng. Le gouvernement rappelle à HNA qu'il s'est développé dans l'aviation et que son but doit être désormais de devenir une compagnie compétitive au rayonnement international. Après des années de boulimie d'acquisitions partout dans le monde, la société est devenue un conglomérat géant à la structure floue et complexe, qui suscite la méfiance des milieux d'affaires internationaux. «Les prises de décision ne se font pas toujours dans la transparence, ce qui peut générer une méfiance de la part des autres entreprises», résume Edward Tsé.

En 2017, sous la pression de ses partenaires commerciaux, HNA est forcé de publier son organigramme. L'actionnaire principal est alors Guan Ju, un mystérieux homme d'affaires chinois dont les adresses renvoient à des immeubles insalubres ou inhabités à Pékin. Etonnant de la part d'un «investisseur privé» qui détient près de 29 % des parts. Ces dernières sont ensuite transférées à la tout aussi mystérieuse fondation caritative Hainan Cihang, qui a grandi dans l'ombre du groupe. Ce «charity fund», divisé en deux filiales à New York et Hainan, devient alors l'actionnaire majoritaire de HNA avec près de 52 % des actions. La deuxième moitié est entre les mains d'une dizaine de cadres du holding. Chen Feng et Wang Jian, les deux cofondateurs, détiennent chacun 15 % du total.

Fin juin, HNA ramène sa participation dans la Deutsche Bank de 8,9 % à 7,6 %, et annonce qu’il ne sponsorisera plus l’Open de France de golf. Quelques jours après, Wang Jian meurt et son portefeuille d’actions est immédiatement transféré à Hainan Cihang - conformément aux souhaits du défunt, assure l’entreprise. Dans les semaines qui suivent, HNA met en vente des dizaines de filiales. Il se retire du groupe français Pierre & Vacances, dans lequel il avait investi à hauteur de 10 % en 2015. Et renonce à une de ses plus belles prises, les hôtels Hilton, dont il possédait 25 %. Fin 2018, en croisade contre Xi Jinping, Guo Wengui, milliardaire en exil à New York, se lie avec Steve Bannon, l’ancien stratège de Donald Trump, pour affirmer que l’investisseur mystérieux Guan Ju serait en réalité un homme de paille et un parent de Wang Qishan, le vice-président chinois. Le holding dément ces accusations, sans pour autant donner d’éclaircissements.

Poche. Ancien tsar de la lutte anticorruption et fidèle de Xi Jinping, dont il a l'oreille attentive, Wang Qishan est un rouage essentiel de l'appareil politique chinois. Le Financial Times rappelle aussi que le vice-président chinois et Chen Feng s'étaient croisés à la China Agricultural Development Trust and Investment Co, un fonds dirigé par Wang Qishan, censé gérer les prêts accordés à la Chine par la Banque mondiale au mitan des années 80.

Six mois après la mort de Wang Jian, Hainan Cihang détient désormais près des deux tiers de HNA. En décembre, la Banque chinoise de développement, premier créancier du groupe, a mis la main à la poche pour acheter les huit Airbus qui étaient en attente de livraison après les retards de paiement de Hainan Airlines. Et Chen Feng est désormais seul aux commandes.