En quelques phrases, le ministre délégué à la Justice du Cameroun, Jean de Dieu Momo, jusqu’alors homme politique de second plan, s’est taillé dimanche une réputation planétaire, dont le régime en place à Yaoundé se serait bien passé. Surtout dans cette période tumultueuse pour le Cameroun : des manifestations ont été violemment réprimées le 26 janvier, suivies par l’arrestation de personnalités de l’opposition, dont son leader, Maurice Kamto, toujours détenu sans notification des charges contre lui. Il a entamé une grève de la faim cette semaine.
C'est pour commenter cette situation que le ministre intervenait dimanche sur la télévision publique. Mais au bout d'une vingtaine de minutes d'interview, tout dérape. «L'histoire bégaie… commence le ministre avec un grand sourire. En Allemagne, il y avait un peuple qui était très riche et qui avait tous les leviers économiques, c'était les Juifs. Ils étaient d'une arrogance telle que les peuples allemands se sentaient un peu frustrés. Puis un jour est venu au pouvoir un certain Hitler, qui a mis ces populations-là dans des chambres à gaz. Il faut que les gens instruits, comme M. Kamto, puissent savoir où ils amènent leur peuple.»
Tollé immédiat sur les réseaux sociaux. Dans la foulée, l'ambassade israélienne au Cameroun publie un communiqué dans lequel elle se dit «outragée par cette sortie». Quelques heures plus tard, le gouvernement répond, précisant que Momo «s'exprimait à titre personnel».
On imagine bien l’embarras du régime de Paul Biya : Israël est un allié proche, chargé notamment de la formation des unités d’élite de l’armée camerounaise. Or celles-ci sont très sollicitées ces dernières années : alors que le nord du pays est gangrené par les incursions de la secte islamiste Boko Haram venu du Nigeria voisin, l’ouest anglophone est, depuis fin 2017, le théâtre d’une guerre sanglante à huis clos entre séparatistes et forces régulières. La rapidité de la réaction de Yaoundé permettra certainement d’éteindre la polémique.
Mais les propos de Momo révèlent autre chose : la tentation du pouvoir de jouer avec les démons ethniques pour désamorcer une crise politique. Kamto, le leader emprisonné, est de l’ethnie bamiléké, la plus importante du Cameroun, estimée à près de 25 % de la population. Les Bamiléké sont la cible d’attaques récurrentes depuis l’indépendance. Stigmatisés et soupçonnés de vouloir prendre le pouvoir, ils se sont souvent tenus à l’écart de la politique pour investir, avec un certain succès, l’économie.
Ce qui n'a pas empêché Maurice Kamto de se lancer dans la course présidentielle en octobre. L'issue du scrutin a officiellement permis à Paul Biya de se maintenir en place après trente-six ans de pouvoir. Mais Kamto et ses sympathisants n'ont jamais reconnu les résultats officiels. Et c'est dans ce climat délétère que la stigmatisation des Bamiléké a refait surface dans les médias proches du régime. Momo est d'ailleurs lui aussi bamiléké. Sa tirade antisémite se voulait un avertissement adressé à ses frères : «Soyons moins gourmands», conseille-t-il, quelques secondes avant de prononcer les propos infamants. Aux dernières nouvelles, il n'a pas l'intention de démissionner.