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Libération
Interview

Israël : «Nouvelle Droite défend la majorité face aux droits de l’homme»

Le chercheur Denis Charbit explique comment le parti de Shaked, Nouvelle Droite, se différencie des autres formations extrémistes en affichant une façade modérée et en défendant un capitalisme «absolu».
Le ministre de l'Education Naftali Bennett et la ministre de la Justice Ayelet Shaked, fondateurs du parti Nouvelle Droite, le 19 novembre 2018. (THOMAS COEX/Photo Thomas Coex. AFP)
publié le 20 février 2019 à 19h26

Denis Charbit est chercheur à l'Université ouverte d'Israël et l'auteur d'Israël et ses paradoxes (Cavalier bleu, 2018).

Comment définir l’extrême droite israélienne ?

Historiquement, dans le pays, cette notion désigne les «kahanistes» [fidèles de Meir Kahane, dont le parti Kach, interdit en 1988, est considéré comme une organisation terroriste en Israël, dans l'Union européenne et aux Etats-Unis, ndlr]. Ce courant de pensée raciste irrigue toujours le groupuscule Otzma Yehudit (Puissance juive), traduction politique des «jeunes des collines» [colons suprémacistes cherchant l'affrontement avec les Palestiniens]. Pour passer le seuil de représentation à la Knesset, ils devraient s'allier au Foyer Juif et à l'Union nationale, dont le projet théocratique est de soumettre l'Etat à la halakha [ensemble des prescriptions religieuses] la plus stricte. Il y a aussi le parti Yachad de l'ultraorthodoxe séfarade Eli Yishaï, xénophobe et violemment homophobe, qui fait campagne sous le slogan «pour qu'il n'y ait plus d'enfants avec deux papas». Tous partagent un rejet frontal des Arabes.

Où situer la Nouvelle Droite d’Ayelet Shaked et Naftali Bennett dans ce panorama ?

Ils partagent avec eux la notion d'un Grand Israël [de la Méditerranée au Jourdain] et le refus d'un Etat palestinien et de toute négociation. Des positions qu'on retrouve aussi dans le Likoud, mais là où Shaked et Bennett diffèrent, c'est par leur remise en cause systématique des fondations libérales de l'Etat, symbolisées par la Cour suprême. S'ils ne se disent pas populistes, ils défendent une suprématie de la majorité face aux droits de l'homme, ce que le Likoud n'a jamais fait aussi ouvertement.

Le duo incarnerait donc une sorte de Likoud sous stéroïdes ?

Pas seulement. Ils s'éloignent d'abord de l'extrême droite classique par leur volonté d'être un parti de gouvernement : ils parleront des Palestiniens comme des ennemis, mais en évitant de «racialiser» leurs attaques, et défendront les droits LGBT. Il y a aussi leur attachement au capitalisme absolu. Etonnamment, leur figure tutélaire, c'est Ayn Rand [philosophe juive russo-américaine et athée, papesse du courant libertarien] dont ils partagent le culte des meilleurs, celui d'être un «killer» en tout. C'est pour cela que leur électorat n'est pas issu des classes populaires, à l'inverse du Likoud. Ils visent une cible plus jeune, mieux intégrée socialement, pour qui la modernité économique doit s'appuyer sur un socle traditionaliste. Il y a aussi leur côté «cash» sur les réseaux sociaux qui plaît, un côté bulldozer qui séduit dans un pays obnubilé par l'action.