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Coulisses de Bruxelles

La zone euro malade de sa gouvernance

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Faute de gouvernance fédérale, l'Union européenne ne peut compter que sur des seuils contraignants pour limiter le déficit de ses Etats membres. Un système inopérant pour un pays comme la France où la mise en place d'une cure d'austérité venue d'en haut reste inenvisageable, en dépit de comptes publics trop déficitaires au goût de Bruxelles.
Le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, lors d'une conférence de presse de l'Eurogroupe, à Luxembourg, le 1er octobre. (JOHN THYS/Photo John Thys. AFP)
par Jean Quatremer, de notre correspondant à Bruxelles (UE)
publié le 24 février 2019 à 13h18

La crise des gilets jaunes va, sauf coupes franches dans les dépenses publiques, faire replonger le déficit public français au-dessus des 3 % du PIB en violation du Pacte de stabilité, le règlement intérieur de la monnaie unique. En 2019, la France sera sans doute le seul pays de la zone euro dans cette situation, tous ses partenaires, hormis l’Italie du Mouvement Cinq Etoiles et de la Ligue, se rapprochant à marche forcée de l’équilibre des comptes publics comme ils s’y sont tous engagés. Depuis 2001, elle n’aura finalement respecté qu’à quatre reprises le plancher des 3 %, ce qui se traduit par une dette publique approchant les 100 % du PIB.

Pourtant, une partie des Français dénonce avec vigueur «la politique d'austérité» suivie par un gouvernement «aux ordres de Bruxelles», alors que l'Hexagone n'a même jamais connu la rigueur. La progression continue de ses dépenses publiques en témoigne : elles atteignent le record mondial de 57 % du PIB, devant le Danemark, contre 45 % en moyenne dans les pays de l'OCDE… L'austérité est d'autant plus un fantasme que la politique monétaire de la Banque centrale européenne est tellement accommodante qu'elle permet à la France d'emprunter à des taux proches de zéro sur les marchés. En clair, les robinets budgétaire et monétaire sont grand ouverts, ce qui est l'exact inverse de l'austérité.

Une gouvernance intenable à long terme

La révolte des gilets jaunes, même si leurs revendications sont contradictoires (on veut à la fois moins d’impôts et plus de dépenses publiques), montre en réalité qu’un pays comme la France est tout simplement incapable de respecter le Pacte de stabilité. Alors imaginer que la France puisse subir sans broncher une cure d’austérité comme cela a été le cas en Grèce, à Chypre, au Portugal, en Irlande et en Espagne relève du pur fantasme. Surtout si une telle cure est imposée par «Bruxelles», en clair par la Commission et l’Eurogroupe, l’instance réunissant les ministres des Finances de la zone euro.

Autrement dit, la gouvernance de la zone euro est intenable à long terme : politiquement, imposer de l’extérieur une politique budgétaire rigoureuse est tout bonnement impossible. Cela amènerait à coup sûr le Rassemblement national au pouvoir avec le risque de Frexit qui en découlerait. Est-ce étonnant ? Pas vraiment.

Aux États-Unis ou au Canada, l’Etat fédéral ne pourrait imposer une cure d’austérité à un ou plusieurs Etats fédérés. S’ils frôlent la faillite, c’est leur problème, pas celui de l’Etat fédéral. Le problème de la zone euro est qu’elle n’est pas allée au terme de son intégration : il y a certes une monnaie unique, mais pas de gouvernement fédéral, pas de parlement fédéral, pas de budget fédéral, pas de Trésor européen chargé de lever des emprunts. On a cru qu’il suffisait de contraindre les budgets nationaux pour que le système fonctionne, ce qui n’est pas le cas.

S’il existait un budget de la zone euro, celui-ci pourrait jouer le rôle d’amortisseur, à l’image des budgets fédéraux (transferts sociaux, investissements, etc.), ce qui permettrait de ne plus donner l’impression aux citoyens qu’ils ne contrôlent plus leur destin, que les dépenses et les recettes sont décidées par des institutions sur lesquelles ils n’ont aucune prise. Si la France veut faire faillite, c’est son droit souverain. Ce sera à elle de faire face à la situation sans pouvoir incriminer «Bruxelles».