Menu
Libération
L'âge bête

Les mouches en majesté

Pollinisatrices, nutritives, ouvrières des sols… Ces diptères sont les alliées des hommes et méritent d'être préservées.
Une mouche soldat noire dans un élevage à NextAlim, le 14 juin 2017, à Poitiers (Photo Guillaume Souvant. AFP)
publié le 24 février 2019 à 10h43

Tous les dimanches, retrouvez la chronique «Âge bête», le rendez-vous animal de Libération.

Les mouches aussi disparaissent. Comme les abeilles et les papillons, elles subissent l'effondrement de leurs populations. Le phénomène concerne désormais l'ensemble des insectes selon une récente étude, et 25 % des espèces de mouches sont en déclin, menacées ou en voie de disparition. Il n'y a pas que la mouche la plus connue, la domestique. Le groupe recouvre 150 000 espèces sur la planète, dont les moustiques, les mouches à merde, les taons, les cousins… Tous ont une paire d'ailes, d'où leur nom scientifique de diptères.

Certes, certaines mouches transmettent des maladies, piquent et nous collent un peu trop aux oreilles. Mais elles rendent de nombreux services aux hommes. «Elles ont un impact majeur dans les écosystèmes. Au cours des millions d'années, elles ont connu beaucoup d'évolutions, mais aujourd'hui l'effondrement des espèces va à vitesse grand V», s'inquiète Christophe Daugeron, entomologiste au Muséum national d'histoire naturelle et à l'unité mixte de recherche Mecadev (rattachée au CNRS).

Des champs à la chair

En quoi les mouches aident-elles l'humanité ? Au début de leur vie, alors qu'elles ne sont que de petits asticots, elles travaillent déjà à l'enrichissement de la terre. «Elles vivent souvent dans le sol, dans les forêts, dans les champs, où elles recyclent la matière organique, comme d'autres insectes et les vers de terre», précise Christophe Daugeron. Dans un tout autre domaine, celui des affaires criminelles, ce sont de précieux indices. Sur un cadavre, la présence de certaines espèces de larves et l'observation de leur stade de vie permet aux enquêteurs et médecins légistes d'estimer la date du décès. Enfin, ces êtres gigotants sont capables de soigner et de limiter l'infection des plaies. «Certaines espèces de larves se développent au contact de la chair. On peut les utiliser pour soigner des tissus nécrosés, surtout dans des cas de résistance aux antibiotiques», explique Christophe Daugeron, même si l'asticothérapie reste aujourd'hui anecdotique.

A l'état adulte, certaines mouches sont des pollinisatrices. «Au-delà de 1 500 mètres, ce sont surtout les diptères qui interviennent pour polliniser les plantes alors que les abeilles sont présentes à des altitudes plus basses, détaille Christophe Daugeron. En quelque sorte, les insectes se complètent en fonction des habitats.» Le cacao, lui, dépend entièrement des mouches pour féconder ses fleurs. Autre vertu des diptères : ils sont les prédateurs de certains nuisibles. Ils limitent la prolifération de certains ravageurs des champs tels que les chenilles. Même les chercheurs de truffes guettent les diptères. Pas forcément besoin du flair d'un chien, la mouche truffière, couleur marron-beige, se pose toujours à proximité des précieux champignons enfouis sous terre.

Nutritives

Riches en protéines, les mouches sont d'ailleurs bonnes à être croquées. Des élevages de larves de mouches soldats noires commencent à éclore en France. Par rapport au bétail et même à la volaille, leur impact environnemental est moindre. Elles grignotent les déchets organiques et leurs excréments peuvent servir d'engrais. Pour le moment, les asticots sont réduits en farine essentiellement pour l'alimentation animale. Ce sont de bons substituts aux farines de poisson utilisées en aquaculture et en partie responsables de la surpêche. Côté alimentation humaine, la soldat noire a du potentiel. Certains chercheurs considèrent qu'elle pourrait aider à lutter contre la faim dans le monde.

Une farine produite à partir de larves de mouches soldats noires utilisée pour nourrir des poissons d'élevage, le 14 juin 2017 à NextAlim, à Poitiers

Une farine produite à partir de larves de mouches soldats noires, utilisée pour nourrir des poissons d'élevage, le 14 juin 2017 à NextAlim, à Poitiers. Photo Guillaume Souvant. AFP