Depuis très longtemps, l’Algérie est gouvernée par des pantins solennels. Au fil des décennies, c’est la même caste de généraux et de politiques, nimbée d’une vieille auréole nationaliste, qui se partage indéfiniment le pouvoir, et délègue l’un de ses membres à la présidence avec, pour seule maxime, cette version détournée de l’aphorisme célèbre du comte de Salina : pour que rien ne change… il faut que rien ne change. A la faveur de la cinquième candidature de Bouteflika, la logique de la marionnette est poussée à l’extrême : le Président, affecté par des accidents cardiaques ou vasculaires cérébraux, n’a pas pris la parole en public depuis sept ans et il n’apparaît plus dans les cérémonies que sous la forme d’une photo officielle. Ce n’est plus un homme de paille, c’est une momie. Ses partisans voient en lui une garantie de stabilité : stabilité parfaite, en effet, puisque le Président est muet et immobile, telle une figure du musée Grévin. Du coup, la jeunesse algérienne se rebelle. Un nouveau printemps arabe ? En quelque sorte, même si les effectifs des manifestations restent très inférieurs à ceux observés ailleurs en 2011. Avec plusieurs difficultés en sus. Beaucoup d’Algériens, les plus âgés en tout cas, gardent le souvenir cruel de la guerre civile des années 90 qui a ravagé le pays. Dans un pays déjà islamisé par la collusion entre généraux et barbus, on a peur d’une nouvelle tentative islamiste, qui plongerait le pays dans la guerre ou dans une tyrannie encore plus impérieuse que l’actuelle. Quant à l’opposition politique, elle est morcelée, cacophonique, désabusée et ne croit guère qu’il soit possible de renverser une dictature aussi coriace. Une voie pourrait s’ouvrir : la naissance d’un nouveau parti poussé en avant par la rue. Espoir ténu, qu’il faut agiter avec prudence : Bouteflika n’a pas plus de ressort qu’une souche. Mais cette souche a pris racine.
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