Conférence des donateurs pour le Yémen, épisode 3. Alors que les ravages des années de guerre pèsent sur le pays, l'ONU lançait mardi, à Genève, un appel aux promesses de dons pour alimenter le flux d'aide humanitaire à destination de ce pays de la péninsule arabique, traversé par un conflit depuis 2015.
Sur les 4,2 milliards de dollars (3,7 milliards d'euros) réclamés par l'ONU pour l'année 2019, le bilan de la conférence fait miroiter l'arrivée prochaine de 2,6 milliards de dollars (2,3 milliards d'euros). Et parmi les donateurs les plus généreux figurent aussi les principaux acteurs du conflit yéménite.
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Avec une promesse de don à hauteur de 500 millions de dollars chacun (438 millions d'euros), l'Arabie Saoudite – à la tête de la coalition arabe qui affronte la rébellion houthiste – et leurs alliés des Emirats arabes unis écrasent de loin les autres propositions gouvernementales. Leur contribution surpasse même les sommes que les deux pays avaient allouées en 2018, et qui, cumulées, atteignaient déjà 930 millions de dollars (816 millions d'euros). Des donations qui peuvent dérouter alors que, sur le terrain, le Haut Commissariat aux droits de l'homme (HCDH) estime que la coalition est responsable de la mort de deux tiers des civils au Yémen depuis 2015.
Bombarder et payer
Cette dualité est due à la nature même du conflit qui secoue le pays. Tiraillé entre deux camps, le Yémen voit s'affronter d'une part l'armée gouvernementale, soutenue par la coalition menée par Riyad, et d'autre part les forces de sécurité favorables au mouvement séparatiste houthiste du sud. «Pour les Yéménites qui ne sont pas sous contrôle houthiste, l'Arabie Saoudite dépense effectivement beaucoup, qu'il s'agisse de l'aide humanitaire comme d'autres types d'aides financières, alors qu'elle bombarde le reste du territoire, souligne l'ancien conseiller à l'ambassade de France au Yémen, François Frison-Roche, désormais politologue et chercheur au CNRS. On est dans une dimension qui dépasse le phénomène yéménite. Pour l'Arabie Saoudite, cela relève de sa stratégie de politique étrangère, qui est une politique de lutte hégémonique dans la région», analyse l'ancien conseiller.
Et pour asseoir son influence, le royaume de Mohammed ben Salmane espère bien s'assurer bonne presse. En octobre, The Guardian révélait le contenu d'un document interne de l'ONU, dans lequel l'Arabie Saoudite réclamait une publicité favorable en échange de sa contribution au budget 2018 à destination du Yémen.
Pour en rester au contenu, les sommes promises par l'Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis vont se fondre avec les dotations des autres pays, avant d'alimenter des secteurs tels que la distribution et l'acheminement de vivres, l'aide médicale, ou encore l'eau et les installations sanitaires. Avec le montant des promesses récoltées mardi, l'ONU revendique être en mesure de venir en aide à 21,4 millions de Yéménites au cours de l'année 2019. Néanmoins, «on ne sait toujours pas clairement comment l'argent sera réparti, car cela dépend de la façon dont les donateurs vont réaliser leurs financements», fait remarquer Johann Mooji, directeur du bureau Yémen de l'ONG humanitaire Care.
Du côté des organisations humanitaires, la provenance de ces dons génère des refus, à l'instar d'Handicap International, présente à Genève lors de la conférence. «Nous n'acceptons jamais les dons qui émanent de l'Arabie Saoudite ou des Emirats arabes unis. Même lorsque ceux-ci transitent par des agences comme l'ONU, nous nous assurons toujours d'où proviennent les financements avant d'accepter les sommes proposées, affirme Maude Bellon, la directrice du bureau yéménite. C'est contraire à notre éthique, à notre vœu d'impartialité.»
Pour Care, pas question non plus de céder à l'appel de l'argent des deux pays du Golfe : «Notre présence dans la partie nord du pays [sous contrôle houthiste, ndlr] serait menacée. Nous ne voulons pas prendre le risque d'un conflit avec les autorités locales», argumente Johann Mooji.
Mais pour le directeur du bureau Yémen de l'organisation humanitaire, l'enjeu du financement dépasse le cas de l'Arabie Saoudite et des Emirats arabes unis : «La question se pose également pour l'argent des gouvernements américain, français ou encore anglais, qui livrent tous les trois des armes à l'Arabie Saoudite.»
L'ONG a toutefois fait le choix de recevoir les contributions de ces Etats, mettant en avant la nécessité de pouvoir «sauver autant de personnes que possible d'une situation proche de la famine». De l'argent, à défaut d'une résolution politique définitive du conflit.