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L'âge bête

Sur l'île Maurice, des renards volants tués pour des litchis

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Depuis trois ans, ces chauves-souris endémiques de l'île font l'objet de campagnes d'abattage du gouvernement qui mettent en péril la survie de l'espèce.
publié le 3 mars 2019 à 11h39

Tous les dimanches, retrouvez la chronique «Age bête», le rendez-vous animal de Libération.

Le renard volant de l’île Maurice, chauve-souris endémique qui peut parcourir 60 kilomètres en une nuit pour manger fruits et nectars, se trouve depuis trois ans dans le viseur du gouvernement. Littéralement dans le viseur : trois campagnes d’abattages massifs au fusil ont été organisées en 2015, 2016 et 2018.

Pourtant, l'espèce aux ailes noires et museau roux, dont il doit rester actuellement moins de 40 000 individus, est classée comme «en danger» par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Et pourrait bien passer, sous peu, à l'échelon «en danger critique», le dernier avant l'extinction.

Pourquoi tant de haine contre ces chauves-souris ? Parce qu’elles mangent les litchis et mangues dans les plantations agricoles – des fruits destinés à l’exportation et la vente en Europe, et principalement en France.

Une mesure inefficace

Pour Christian Vincenot, professeur en écologie spécialiste des chauves-souris insulaires à l'université de Kyoto, les renards volants sont des boucs émissaires. «Après les deux premiers abattages, une baisse de 70% de la production des litchis a été observée, dit-il. Cela prouve que les tuer n'est pas une solution. Par ailleurs, d'autres animaux mangent ces fruits, des oiseaux et des macaques. Les plantations souffrent aussi des épisodes météorologiques violents.»

D’après le chercheur, il existe un moyen simple d’éviter les dégâts sur les récoltes : installer des filets pour protéger les arbres et indemniser les agriculteurs.

Le dernier abattage a été lancé en novembre. En parallèle, la communauté scientifique des experts des chauves-souris, choquée par les pratiques du gouvernement, se mobilise pour arrêter le massacre. «Près de 50% de la population de l'espèce a été tuée par ces campagnes», assure Christian Vincenot.

Dans un article publié dans la revue scientifique Science en mars 2017, avec Vincent Florens et Tigga Kingston, le chercheur français rappelle que l'animal joue un rôle crucial pour la dissémination des graines sur l'île. «Les renards volants sont les dernières espèces d'une mégafaune locale qui a été exterminée par la colonisation de l'île par les hommes, ajoute-t-il. Leur disparition pourrait provoquer une cascade d'extinctions car supprimer une espèce centrale dans la régénération et l'architecture des forêts aurait, théoriquement, des conséquences néfastes sur les autres espèces qui dépendent de ces écosystèmes.»

Des mères tuées pendant la gestation

Fin novembre, une ONG locale, Droits humains océan Indien, avec le soutien des scientifiques, a lancé une action en justice contre le gouvernement. Elle espérait obtenir une injonction du tribunal pour interrompre l’abattage en cours. Sans succès. La procédure se poursuit actuellement devant la Cour suprême pour déclarer ces abattages illégaux.

De son côté, l'UICN a publié plusieurs communiqués pour dénoncer les pratiques du gouvernement, particulièrement violentes : les chauves-souris sont tuées au fusil, parfois laissées mutilées. Les abattages sont, en plus, menés pendant les périodes de gestation, tuant des mères enceintes. Celles qui ont déjà des petits les laissent sur des branches avant d'aller chercher de la nourriture. Si elles sont tuées en chemin, les jeunes finissent par mourir de faim.

D'après Christian Vincenot, «cela met en péril encore plus fortement la survie de cette espèce, qui est dotée par nature d'un faible taux de natalité et investit beaucoup d'énergie dans la survie des petits».