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Environnement

Avec Trump, la chasse aux pollueurs est au plus bas

Plusieurs rapports dénoncent une baisse des inspections et des poursuites engagées par l'agence américaine de protection de l'environnement (EPA). En cause : une baisse des effectifs et des budgets qui envoie un message d'impunité aux entreprises polluantes.
En septembre 2017, à Orange (Texas) après le passage de l'ouragan Harvey. (Photo Scott Olson. AFP)
publié le 5 mars 2019 à 15h35

Texas, août 2017. Depuis plusieurs jours, l'ouragan Harvey fait rage et inonde la côte. Sous les eaux, une usine de stockage de pétrole se vide de plus de 2 millions de litres de carburant dans les eaux environnantes. En Pennsylvanie, depuis 2016 une usine de transformation de volaille déverse d'importantes quantités d'azote dans un cours d'eau menant à la baie de Chesapeake, au risque de favoriser des zones mortes. Ces deux exemples ont bien été repérés par l'Agence américaine de protection de l'environnement (EPA). Mais pas au point de déclencher des poursuites en justice.

C'est ce constat que dénonce l'Environmental Integrity Project (EIP), une organisation à but non lucratif qui se définit comme un «chien de garde» («watchdog») veillant au respect des régulations environnementales, dans un rapport récent. En s'appuyant sur dix cas, les auteurs pointent les effets de la diminution des moyens et des résultats de l'agence fédérale chargée de faire respecter les régulations environnementales américaines.

Déclin

En janvier, le Peer – Protecting employees who protect our environment, une organisation de défense des fonctionnaires travaillant pour la protection de l'environnement – titrait sur un «effondrement de l'exécution du droit pénal à l'EPA», indiquant que sur l'année fiscale (qui commence au 1er octobre aux Etats-Unis) les recommandations pour poursuites pénales de la part de l'organisation n'avaient pas été aussi peu nombreuses depuis 1988, à la fin du mandat de Reagan. Soit seulement 166 recommandations pour poursuites en 2018 contre un record de 592 en 1998 sous administration de Bill Clinton.

Tous les chiffres vont dans le même sens. Sur les vingt dernières années, les inspections, les poursuites (au pénal comme au civil), les pollutions de l'air évitées, et les condamnations judiciaires obtenues grâce au travail de l'EPA sont toutes à leur plus bas niveau, ou presque. Par exemple, l'EPA a conduit 10 612 inspections en 2018, nombre qui n'avait été aussi faible depuis 1994, soit, comme le note le professeur Leif Fredrickson sur son blog, la date à laquelle ces statistiques commencent. Certes, la tendance à la baisse est relativement ancienne, mais la situation est d'autant plus préoccupante qu'elle ne cesse de s'amplifier.

Extrait du rapport «Less Enforcement : Communities at Risk». Environmental Integrity Project

De son côté, l'EPA assure avoir concentré ses ressources sur les cas les plus importants et les plus symboliques, et affirme (à juste titre) que son accord avec l'entreprise automobile Fiat Chrysler début 2019 (qui inclut une amende de 305 millions de dollars pour mensonge sur les tests d'émissions de ses véhicules) contribuera à booster les résultats de 2019 comparés à ceux de 2018 (86 millions seulement). Mais cette stratégie visant à «privilégier» les cas plus importants est contestée, notamment par l'EIP, qui doute de la capacité de l'EPA à pouvoir poursuivre son travail de terrain «face à des milliers de sources de pollutions».

Un «mouton dans le placard»

Les organisations dénoncent des instructions internes à l'EPA à ne pas en faire trop, le tout sur fond de baisse des effectifs et des budgets qui s'amplifie sous l'administration Trump. Certes, l'agence a pour l'instant résisté aux souhaits du Président de couper son budget de 30 %. Elle a néanmoins perdu 14 % de son personnel entre 2006 et 2018, et autant de capacité d'investigation. Dans un communiqué de presse, Eric Schaeffer, ancien de l'EPA et directeur exécutif de l'EIP dénonce «des réductions qui laissent les communautés exposées à des risques de santé publique tout en déresponsabilisant les pollueurs pour de sérieuses violations de la loi».

A tel point que l'Environmental Data & Governance Initiative (EDGI), un groupe d'universitaires inquiets des conséquences de l'élection de Trump pour l'environnement et mobilisés pour les mettre à jour, a qualifié l'EPA de «mouton dans le placard». Contactée par Libération, la professeure de santé publique dans le New Jersey Marianne Sullivan qui a participé à la rédaction du rapport explique : «Pour le premier administrateur de l'EPA, son rôle devait être celui d'un "gorille dans le placard". Fort, menaçant, mais qui ne sort pas sans que ce soit nécessaire. Car les Etats sont prioritaires dans les affaires environnementales. Aujourd'hui l'EPA est en retrait pour la protection de la santé et de l'environnement.»

Pour elle, si l'EPA perd du terrain dans l'exécution du droit, c'est surtout en raison de consignes qui détournent le personnel de l'agence de ce travail. Les nouveaux administrateurs – dont Andrew Wheeler nommé en juillet 2018 ancien lobbyiste pour le charbon – veulent aussi favoriser l'action au niveau des Etats. Selon Marianne Sullivan, cela favorise en réalité une «servilité» néfaste alors que ceux-ci ont souvent moins de moyens et d'expertise et sont plus sensibles aux changements politiques.

Rhétorique antiréglementation

Pour la professeure, cet affaiblissement de l'organisation de protection de l'environnement s'inscrit dans une rhétorique antiréglementation. Et une dynamique générale de démantèlement à petit feu des normes environnementales, notamment celles édifiées sous Obama. Ce climat, qui place l'environnement sur le siège arrière de l'industrie a poussé au départ de nombreux experts de l'agence, souvent mobilisés dans des réseaux parallèles pour tenter de traquer et de limiter la casse, et est néfaste pour la santé des populations et des écosystèmes. D'autant que comme l'a montré une étude publiée fin février dans Nature Climate Change, la diminution récente des émissions de gaz à effet de serre de dix-huit pays développés dans le monde (dont les Etats-Unis) est fortement corrélée au nombre de réglementations climatiques qu'on y trouve.