Connaissez-vous Guam? Une île de 550 kilomètres carrés, 160 000 habitants, lovée dans la mer des Philippines. C'est l'un des cinq paradis fiscaux officiellement recensés sur la liste noire établie par l'Union européenne (avec les îles Vierges, les Samoa, les Samoa américaines et Trinité-et-Tobago). Un listing croupion excluant les principales places offshore de la planète, placées sous liste grise (65 pays visés) ou tout simplement non listées. Dans un rapport publié jeudi, intitulé «Tirés d'affaires», l'ONG Oxfam revient sur la nécessité des pays occidentaux à d'abord «balayer devant leur porte». Car l'UE doit prochainement revisiter ses listes noires ou grises, sans cesse réduites à la portion congrue, sous prétexte d'engagements visant à une meilleure coopération fiscale à travers la planète.
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Pour Oxfam, «certains pays sont tout simplement trop puissants pour être listés. C'est le cas notoire des Etats-Unis [avec l'Etat du Delaware, ndlr] et de la Suisse». Ni noirs, ni gris, tout comme Singapour ou Hongkong, qui mériteraient également d'être listés. Le rapport pointe également «au moins cinq pays européens susceptibles de figurer sur une liste noire» : Chypre, Irlande, Luxembourg, Malte et les Pays-Bas.
L'évasion fiscale en question, jouant subtilement entre fraude et optimisation, vise essentiellement les multinationales (les Gafa, mais pas que), non pas les riches particuliers : quelque 600 milliards de dollars de bénéfices réalisés à l'étranger auraient été transférés vers des paradis fiscaux, dont 30% au sein de l'UE. A eux trois, l'Irlande, le Luxembourg et les Pays-Bas auraient hébergé plus de 200 milliards pour une taxation minimale. Avec un effet d'entraînement à la baisse sur les autres membres de l'UE : le taux moyen d'imposition des profits y est passé de 35,2% en 1997 à 21,9% en 2018.
Oxfam estime que 23 pays devraient figurer sur la liste noire européenne, 32 autres devant être ajoutés à sa liste grise. L'ONG pointe particulièrement ces «huit principales économies de transit» des bénéfices, qui concentreraient 85% des investissements internationaux : les Pays-Bas, Luxembourg, Hongkong, les îles Vierges, les îles Caïman, les Bermudes, l'Irlande et Singapour. Faute de quoi, «le jeu du chat et de la souris permettant à certaines multinationales de se jouer des nouvelles règles» pourrait perdurer dans la plus parfaite tartufferie. Avec cette autre conséquence : des paradis fiscaux, tout à leurs soucis d'encourager le nomadisme des capitaux internationaux mais également soucieux de ne pas se faire blacklister, élargissent ainsi leur moins-disant fiscal aux petites entreprises locales. Oxfam donne l'exemple de la Barbade : «Pour aligner son régime aux exigences de l'UE, les PME sont soumises à un taux d'imposition de 5,5% sur les bénéfices, les grandes entreprises bénéficiant d'un taux de 1%.» Un nivellement général par le bas où «l'UE y voit un signe positif alors que cela aggrave clairement les choses».
«Si l'Europe veut rester chef de file de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale, elle doit d'abord balayer devant sa porte», conclut le rapport, tout en pointant que son organisme ad hoc en charge de la lutte contre les paradis fiscaux, un groupe baptisé «Code de conduite», composé de représentants des administrations fiscales nationales, «est l'un des plus secrets de Bruxelles».