L’affaire agite Bruxelles depuis quelques jours : Viktor Orbán va-t-il enfin être expulsé du Parti populaire européen (PPE) présidé par le Français Joseph Daul, une formation transeuropéenne qui regroupe les démocrates-chrétiens et conservateurs plutôt europhiles ? La question va, en effet, être inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée générale du 20 mars, 12 partis conservateurs de 9 pays – le quorum nécessaire – ayant demandé l’exclusion du Fidesz, la formation du Premier ministre hongrois.
La goutte d’eau qui a fait déborder le vase est une affiche électorale du Fidesz montrant Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, et membre éminent du PPE, rigolant et grimaçant avec, en arrière-plan, l’ennemi juré d’Orbán, le milliardaire juif américain George Soros, ce qui suggère qu’il tire les ficelles de sa marionnette. Les deux hommes sont accusés de vouloir ouvrir grandes les portes de l’Union européenne à l’immigration (musulmane). C’est non seulement faux, mais l’affiche dégage un fort relent antisémite devenu habituel en Hongrie.
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Pourtant, le très autoritaire Viktor Orbán a fait mille fois pire depuis 2010 : il a porté atteinte à l'indépendance de la justice, remis en cause la liberté de la presse, maltraité les migrants, placé sous tutelle l'université, mis en coupes réglées l'économie de son pays, insulté ses partenaires. Le PPE a certes régulièrement froncé les sourcils, mais Orbán a toujours su faire quelques concessions, sans rien céder sur l'essentiel. Cela a suffi à rasséréner le parti qui n'a aucune envie de se priver des forces du Fidesz pour dominer les institutions communautaires. Bref, on peut s'autoriser beaucoup au sein du PPE, mais il y a manifestement une ligne rouge à ne pas franchir, s'en prendre à un membre de la famille…
Une exclusion qui ne profiterait pas à tout le monde
Il est vrai que la pression monte au sein de l’Union contre les régimes autoritaires qui se mettent en place en son sein. En septembre, le Parlement européen a ainsi demandé par une majorité des deux tiers, dont de nombreux membres du PPE, que la Commission engage des poursuites contre la Hongrie pour violation de l’Etat de droit (article 7 du traité sur l’UE). Pour l’instant en vain, la Commission et le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement étant largement dominés par le PPE. On mesure l’avantage qu’il y a à être membre de ce parti lorsqu’on voit que seule la Pologne a eu droit à ce traitement humiliant, le parti Droit et Justice (PiS) au pouvoir ayant eu la mauvaise idée de siéger dans le groupe des conservateurs britanniques.
Il est cependant un peu tôt pour considérer que la messe est dite. D'abord, les partis ayant demandé l'exclusion du Fidesz viennent tous de petits pays (Belgique, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Finlande, etc.). Or le PPE, c'est bien plus que son groupe politique au Parlement : il compte 70 partis de 40 pays. Ensuite, on sait que si la CDU-CSU allemande, qui est l'arbitre des élégances au sein du PPE, continue à protéger Orbán, l'affaire en restera là. Or il n'est pas dans son intérêt de se priver du Fidesz car chaque voix comptera pour s'emparer du poste de président de la Commission. Enfin, pousser le Fidesz dehors, c'est prendre le risque de faire naître un grand groupe populiste eurosceptique à la droite du PPE, le rêve du PiS polonais et de la Ligue italienne… D'autant que d'autres partis seront contraints de faire le ménage chez eux : par exemple, les socialistes pourront-ils continuer à garder dans leurs rangs leurs homologues roumains ?