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Libération
Récit

Algérie : Bouteflika change tout avant de partir

Le Hirak, un printemps algériendossier
Manœuvre ou véritable retrait ? Après des semaines de manifestations, le président algérien a annoncé lundi renoncer à briguer un nouveau mandat et le report de la présidentielle. Il promet une Constitution soumise à référendum avant de quitter le pouvoir.
Dans les rues d’Alger, lundi soir, après la publication de la lettre d’Abdelaziz Bouteflika promettant qu’il ne briguerait pas un cinquième mandat présidentiel. (Photo Ryad Kramdi. AFP)
par Krim Hocine, correspondance à Alger
publié le 11 mars 2019 à 21h06

Les événements s'accélèrent en Algérie. Abdelaziz Bouteflika cède face à la pression de la rue qui conteste son pouvoir. Il renonce à briguer un cinquième mandat présidentiel et annonce le report du scrutin. «Il n'y aura pas d'élection présidentielle le 18 avril prochain», a annoncé le chef de l'Etat lundi en début de soirée dans une seconde lettre adressée à la nation.

Une première victoire pour la mobilisation populaire en cours dans le pays depuis le 22 février. Cette décision, prise au lendemain de son retour au pays après une hospitalisation de deux semaines à Genève, est une mesure d'«apaisement», a expliqué le Président dans un texte dont la paternité réelle ne manque pas de poser question. Une tentative de reprendre la main et de contourner la revendication des grandes mobilisations populaires réclamant le son départ et le changement du système.

Inédit

«Une grande victoire qui cache une grande manœuvre», réagit l'opposant Djamel Zenati. Malgré sa santé défaillante, à 82 ans, Abdelaziz Bouteflika reste aux commandes au moins jusqu'à la fin de l'année. Sa photo encadrée, incarnant une génération qui ne veut pas mourir, devrait donc rester accrochée encore de longs mois, au-delà de la fin de son quinquennat. Un scénario inédit, qui n'est pas prévu dans la Constitution : celle-ci ne permet de reporter une présidentielle qu'en cas de guerre ou de troubles graves dans le pays… Manifestement, le chef de l'Etat veut conduire lui-même les réformes politiques qu'il compte mettre en œuvre. «Le message de Bouteflika est sans effet. Il ressemble parfaitement à la lettre de sa candidature. Il a seulement inversé le calendrier», a indiqué Le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), opposition laïque, dans une réaction à chaud.

Comme prévu dans son programme électoral, Bouteflika remet en avant la Conférence nationale, «inclusive et indépendante équitablement représentative de la société» dans laquelle siégeront tous les courants politiques. Là encore, le calendrier n'est pas encore établi.

La Conférence nationale aura pour mission «l'élaboration et l'adoption de tous types de réformes devant constituer le socle du nouveau système que porte le lancement du processus de transformation de notre Etat-nation», indique le message présidentiel. Elle sera pilotée par une «direction d'une instance présidentielle plurielle, avec à sa tête un président qui sera une personnalité nationale indépendante, consensuelle et expérimentée». Promis juré, cette fois le raïs quittera vraiment la scène. Et c'est cette Conférence qui est censée fixer «souverainement» la date de la présidentielle.

Subterfuge

Bouteflika a certes promis de ne pas briguer un nouveau mandat, mais il prolonge le sien d'au moins huit mois. Le temps d'organiser sa sortie et surtout la préservation du pouvoir de son clan ? Ce départ annoncé ne risque-t-il pas d'apparaître aux yeux des manifestants comme un subterfuge, une fausse sortie pour mieux rester ? En attendant, Bouteflika promet de faire le ménage, en plaçant le scrutin sous l'autorité exclusive d'une commission électorale nationale indépendante dont le mandat, la composition et le mode de fonctionnement seront codifiés dans un texte législatif spécifique qui s'inspirera des expériences et des pratiques «les mieux établies à l'échelle internationale». Avant cela, sera formé un gouvernement dit de «compétences nationales bénéficiant du soutien des composantes de la Conférence nationale», s'est encore engagé Bouteflika.

En annonçant le report de la présidentielle, le chef de l’Etat s’est séparé de son Premier ministre, Ahmed Ouyahia, fortement décrié lors des manifestations de ces deniers jour pour avoir fait le parallèle entre les mobilisations contre le système politique avec ce qui s’est passé en Syrie. Il a été remplacé par le ministre de l’Intérieur, Noureddine Bedoui. Un «technocrate» qui fut longtemps préfet. Ce changement à la tête de l’exécutif est accompagné par le retour aux affaires de l’ancien chef de la diplomatie Ramtane Lamamra. Il redevient ministre des Affaires étrangères, avec en plus la fonction de vice-Premier ministre.