On veut, on voudrait y croire. En trois semaines d’une mobilisation exemplaire par sa calme détermination, le peuple algérien a obtenu une première victoire, joyeuse, spectaculaire, enthousiasmante, et néanmoins fragile. Dans un texte d’une impressionnante tenue - l’a-t-il écrit lui-même ? l’a-t-il inspiré ? -, Abdelaziz Bouteflika promet une nouvelle révolution algérienne : pas de cinquième mandat, une conférence nationale pour réformer les institutions, une nouvelle Constitution largement débattue et une élection présidentielle dont il promet qu’elle sera organisée selon les critères internationaux de sincérité démocratique. S’il tient parole, c’est un autre printemps arabe qui se déroulera, dans le plus grand pays du Maghreb, plein d’espoir et d’énergie, à côté de la valeureuse Tunisie, au rebours des échecs égyptiens et, surtout, de la tragédie syrienne.
S’il tient parole, si cette lettre s’applique complètement, Abdelaziz Bouteflika, quittant son costume d’Ubu immobile, se rapprochera des bâtisseurs de la liberté, tel un Gorbatchev ou un De Klerk arabe. Il restera alors dans l’histoire comme le grand passeur, celui qui, malgré son handicap, aura senti, compris, entendu, l’aspiration profonde de son peuple à l’ouverture et à la modernité. Evénement extraordinaire, comme il en arrive une fois par siècle dans la saga des nations. S’il tient parole… Ces promesses de libéralisation étaient déjà dans son message précédent, quand il avait annoncé qu’il ne finirait pas son mandat, manœuvre dilatoire vite éventée. Cette fois, le plan de démocratisation est assorti d’un retrait annoncé. Mais en attendant, le président invisible reste au pouvoir, et avec lui le système militaro-clientéliste qui gouverne l’Algérie depuis l’indépendance. Dans l’ombre d’un système opaque, on ne sait si l’armée, qui tient avec lui les rênes du pays, est décidée à l’ouverture, ou bien si elle n’a trouvé, dans la panique, que ce seul moyen pour apaiser la rue, espérant reprendre la main au cours de la longue transition - un an au bas mot - qui se profile. En 1991, des élections libres avaient déjà eu lieu, au milieu d’une extraordinaire floraison de partis et de candidats. Mais les islamistes l’avaient emporté, conduisant l’armée à interrompre le processus et à déclencher une guerre civile. Sanglant souvenir qui incite cette nation meurtrie à la sagesse. Avec une seule garantie : que cette mobilisation pacifique ne s’arrête pas, quitte à prendre des formes nouvelles, pour s’assurer, avec une sourcilleuse vigilance, que cette extraordinaire promesse ne reste pas lettre morte.