Menu
Libération
Coulisses de Bruxelles

Durant le Brexit, il devrait être interdit d'enquêter sur la Commission

Coulisses de Bruxellesdossier
Après l'enquête de «Libération» sur le suicide de la haute fonctionnaire européenne Laura Pignataro, l'exécutif européen a nié en bloc les accusations. Il a en outre objecté que ces révélations étaient malvenues dans cette période de «négociations très délicates» pour l'Union.
Le bâtiment Berlaymont, siège de la Commission européenne, à Bruxelles. (Photo Emmanuel Dunand. AFP)
par Jean Quatremer, BRUXELLES (UE), de notre correspondant
publié le 18 mars 2019 à 13h06

Notre enquête sur le suicide de Laura Pignataro a suscité une réaction particulièrement brutale de la Commission. Vendredi à midi, l'exécutif européen a publié un long communiqué en trois langues (anglais, français, allemand) pour contester notre enquête, un fait sans précédent, celui-ci se contentant de commentaires oraux en cas de désaccord. Mieux : le compte officiel de la Commission l'a frénétiquement tweeté en réponse aux internautes mentionnant notre enquête.

Pourquoi un tel branle-bas de combat ? Sans doute parce que notre article expliquait le rôle clé joué par cette haute fonctionnaire italienne, directrice au service juridique, dans la gestion du «Selmayrgate», le scandale ayant suivi la nomination au poste de secrétaire général de la Commission de l'Allemand Martin Selmayr, ancien chef de cabinet de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission. Nous révélions en particulier qu'elle avait été la «gorge profonde» de la médiatrice européenne à qui elle a transmis l'ensemble des échanges de mails internes démontrant que cette nomination était illégale.

La Commission nie en bloc

Dans son communiqué, la Commission affirme que «les affirmations et les insinuations faites dans cet article sont inacceptables, malveillantes et irrespectueuses – en particulier vis-à-vis de la victime et de sa famille – mais également vis-à-vis de la Commission en tant qu'institution, à un moment où le Président et cette institution mènent des négociations très délicates dans le cadre d'une procédure d'une importance cruciale pour notre Union». Autrement dit, elle estime que les journalistes ne doivent plus enquêter tant que le Brexit dure… De même, elle affirme que nous aurions «utilisé une tragédie personnelle», ce qui est «simplement inhumain et au-delà de l'imaginable». «Utilisé», mais pour quoi faire ? Ce n'est pas précisé.

Pour le reste, exactement comme lors des enquêtes de Libération qui ont révélé le Selmayrgate, la Commission nie en bloc. Nous maintenons évidemment en bloc notre enquête. Ainsi, dans son communiqué, elle affirme que le secrétaire général n'a rencontré Laura Pignataro «qu'à deux reprises» et n'a pas eu d'autres contacts avec elle. Curieux alors que c'est lui qui l'a nommée à son poste. Je confirme aussi qu'il l'appelait régulièrement, comme le prouve le fait qu'il l'ait chargée de préparer son parachutage à Washington, puis à Londres.

La tentative de démentir que la directrice ait été l'informatrice de la médiatrice est pathétique : Selmayr, après avoir menti au Parlement, aurait fourni de lui-même les mails l'incriminant comme semble l'affirmer le communiqué ? Quant à l'absence de conflits d'intérêts, la réponse de la Commission laisse sans voix : «Martin Selmayr a contribué à élaborer les réponses le concernant pour s'assurer qu'elles soient complètes et exhaustives. Il n'a certainement pas dicté les réponses.»

Le communiqué nous apprend enfin que «le secrétaire général avait l'intention d'envoyer une lettre personnelle de condoléances à la famille de la défunte, mais s'est abstenu de le faire suite à l'avis explicite du directeur général du service juridique, qui a souligné l'existence de circonstances personnelles délicates». Donc les condoléances sont soumises à l'approbation du service juridique ? Et pourquoi ?