Entre le yo-yo des sondages et l'amoncellement de scoops rocambolesques (piratage du portable du rival de Nétanyahou par Téhéran, affaire des sous-marins qui refait surface…), difficile de capter l'attention de l'électeur israélien. Dès lors, à trois semaines des législatives anticipées, la bataille pour les miettes de cerveaux disponibles et potentiels votes se joue sur les réseaux sociaux à coups de live Facebook, stories Instagram et vidéos provocatrices.
En soi, rien de neuf. L'art du clip politique choc est ancré depuis longtemps en Israël, converti depuis les années 90 à la tactique des «campagnes négatives» à l'américaine. L'un de ses premiers importateurs est resté le maître du genre : Benyamin Nétanyahou. Depuis des années, le Premier ministre refuse interviews et débats télés pour se consacrer à la production ininterrompue d'images, qu'il s'agisse de moquer les enquêtes de corruption qui le visent ou diaboliser l'électorat arabe. Ses rivaux, bien sûr, ne sont pas en reste, dans une logique de surenchère. L'entrée en campagne du général «centriste» Benny Gantz s'est faite avec une «bande-annonce» militariste rappelant qu'il avait «renvoyé Gaza à l'âge de pierre», compteur des morts à l'appui, dans ce qui ressemblait à une publicité pour le jeu vidéo Call of Duty ou Fauda, série à la gloire des barbouzes hébreux. Bien pire encore, mais fidèle aux outrances du personnage, le détournement d'une scène du film Le Bon, la Brute et le Truand par le sulfureux député Likoud Oren Hazan, où ce dernier flingue Jamal Zahalka, un législateur du parti arabe Balad. Ce dernier a porté plainte pour «appel au meurtre».
Néanmoins, il faudra faire une place spéciale dans cette aussi riche que douteuse tradition au dernier clip d'Ayelet Shaked, ministre de la Justice et cofondatrice du parti Nouvelle Droite, qui se veut une alternative à la fois dure et moderne au Likoud de Nétanyahou. Dans cette parodie des fragrances de luxe dévoilée lundi sur son compte Twitter, l'égérie de l'extrême droite israélienne se vaporise avec un flacon baptisé «fascisme» - tel qu'écrit en toutes lettres et en anglais.
Sur un noir et blanc vaporeux mettant en valeur la plastique très commentée de la politicienne, une voix off susurre son programme: «réforme judiciaire», «séparation des pouvoirs», «contrôle de la Cour suprême». Euphémismes résumant le combat idéologique de la ministre contre une justice israélienne qu'elle considère bien trop progressiste – en parallèle, une campagne d'affichage du parti promet de mater la Cour suprême et le Hamas, mis sur le même plan. A la fin de la vidéo, Shaked hausse les épaules : «Pour moi, c'est plutôt le parfum de la démocratie.»
Le clip a immédiatement produit les effets désirés : indignation virale et articles à la chaîne. Si la vidéo entend ridiculiser et relativiser les avertissements de ceux à gauche qui voient en Shaked une menace pour la démocratie, la plupart des observateurs décèlent dans l'ambivalence orwellienne du message («le fascisme, ça sent la démocratie») une façon de «troller» les médias en galvanisant l'électorat le plus radical. Car l'extrême droite israélienne est un terrain hautement concurrentiel, voire surpeuplé.
Dans les sondages, Nouvelle Droite souffre, affaibli par l'Union des partis de droite, alliance de groupuscules ouvertement racistes et religieux soutenue par Nétanyahou, et Zehut, formation libertarienne mixant suprémacisme et légalisation du cannabis. Pour l'éditorialiste d'Haaretz Anshel Pfeffer, Shaked entend simplement rétablir sa «street-cred» d'épouvantail des «gauchistes» et autres défenseurs de l'Etat de droit. Et tant pis si le reste du monde n'y voit qu'une ministre israélienne s'enivrant d'effluves fascistes. Pourtant, comme l'a fait justement remarquer le porte-parole de l'association de vétérans anti-occupation Breaking The Silence, ce sont les «gauchistes», journalistes et autres humanitaires que le très droitier gouvernement de Nétanyahou accuse si souvent de «ternir l'image d'Israël».