Que reste-t-il du couple franco-allemand ? Peu de choses. L’Allemagne se désintéresse de la France : elle ne l’ignore pas, ce serait difficile, mais ne tient plus compte de ce qu’elle dit. Elle ne s’intéresse à l’Europe qu’à condition qu’elle serve ses intérêts.
Emmanuel Macron fait l’expérience depuis deux ans de l’hubris allemande : son discours de la Sorbonne de septembre 2017, dans lequel il détaillait son projet de relance de l’Europe, est resté lettre morte. En dépit de ses efforts, il s’est heurté à un constant «nein» de la chancelière allemande : pas de fédéralisation de la zone euro, pas de circonscription électorale paneuropéenne, pas de taxe Gafa, etc. Sa dernière tentative, sa lettre aux «citoyens européens» du 4 mars, a été balayée par la successeure désignée de Merkel, Annegret Kramp-Karrenbauer (dite AKK) qui, elle aussi, a pris la plume.
Le point central de cette lettre est la défense de l’intergouvernementalisme, un changement de doctrine pour les chrétiens-démocrates allemands jusque-là attachés au fédéralisme. Berlin a manifestement pris goût à cette Europe des Etats, qui donne une prééminence mécanique au pays le plus puissant, en l’occurrence l’Allemagne, alors que le fédéralisme donne le pouvoir à des organes non contrôlés par les gouvernements, comme la Banque centrale européenne (BCE).
Il ne faut pas se tromper : si AKK se montre intéressée par l’Europe de la défense, c’est parce qu’elle sait que les Etats-Unis se désengagent du continent européen et qu’elle a besoin du savoir-faire français. De même, si elle partage la volonté de Macron de renforcer le contrôle aux frontières ou de relancer l’harmonisation fiscale, c’est parce qu’il en va de l’intérêt de l’Allemagne.
AKK estime que la France devrait renoncer à accueillir le Parlement européen à Strasbourg, au profit d’une centralisation à Bruxelles. Mais bien sûr, pas question que la BCE quitte son siège de Francfort. De même, elle ferait bien main basse sur le siège permanent de la France au Conseil de sécurité de l’ONU en proposant de l’européaniser. On est presque soulagé qu’elle ne demande pas le transfert de la tour Eiffel à Berlin.