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Analyse

Chine : quand l’Europe se réveillera…

Péchant par naïveté, l’UE a longtemps sous-estimé les appétits chinois sur son marché intérieur. Depuis deux ans, enfin, elle renforce ses mécanismes de défense.
par Jean Quatremer, Correspondant à Bruxelles
publié le 25 mars 2019 à 20h36

«Le temps de la naïveté européenne est révolu», a proclamé à Bruxelles, un rien martial, Emmanuel Macron vendredi à l'issue du sommet européen de printemps. Il est encore un peu tôt pour en être sûr, mais le fait que les relations avec Pékin ont été inscrites au menu des chefs d'Etat et de gouvernement pour la toute première fois montre une prise de conscience : la Chine est à la fois «un concurrent, un partenaire, un rival» avec lequel «nos relations commerciales sont asymétriques», selon les mots de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne.

Les Vingt-Sept ont convenu qu’il était temps de se défendre contre ses pratiques commerciales agressives alors que jusque-là l’Allemagne, les pays nordiques et d’Europe de l’Est étaient allergiques à tout ce qui pouvait ressembler à du protectionnisme. Pas question pour autant de déclencher une guerre commerciale contre Pékin, à l’image des Etats-Unis de Trump. Il s’agit simplement de se doter d’instruments pour imposer un minimum de réciprocité dans les échanges commerciaux, l’accès aux marchés publics ou les investissements. Pourtant, l’Europe n’a jamais été pensée comme un marché ouvert. Le marché commun de 1957 reposait sur deux piliers : la suppression des frontières douanières intérieures afin de favoriser le commerce et une union douanière le protégeant de l’extérieur. Mais une fois le marché unique achevé, au début des années 90, l’Union s’est mise à démanteler ses frontières extérieures : l’Europe protectionniste des débuts est devenue une zélatrice enthousiaste de la mondialisation, comme le montre l’ouverture à hauteur de 90 % en volume de ses marchés publics à la concurrence non européenne, contre 32 % pour les Américains, 28 % pour le Japon et quasiment zéro pour la Chine. Il n’y a d’ailleurs toujours pas à ce jour de préférence communautaire, comme il existe un Buy American Act, un Buy Japan Act ou un Buy China Act.

Cocktail. Néanmoins, l'UE a cherché à imprimer sa marque à ce libre-échangisme en obtenant la création, en 1993, de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) qui mettait un minimum d'ordre dans la mondialisation naissante. Mais l'environnement, les normes sociales ou encore la monnaie n'ont pu être incluses dans les règles régissant ce commerce. Le pari était que le modèle européen, ce cocktail entre démantèlement des frontières, règlement des conflits par la loi et force de l'exemplarité, s'étendrait au reste de la planète. Le summum de cette naïveté a été atteint en 2000 lorsque Pascal Lamy, alors commissaire au Commerce, expliquait après avoir négocié l'adhésion de la Chine à l'OMC qu'il n'y avait rien à craindre car elle allait se concentrer sur les «produits à basse valeur ajoutée»,laissant à l'Europe «la haute valeur ajoutée». Dix-sept ans plus tard, la Chine est déjà sur la face cachée de la Lune…

Il a fallu plusieurs coups de semonce pour que les Vingt-Sept admettent enfin que la Chine n'est pas un pays comme un autre. «Les investissements américains en Europe ont un but commercial, ceux des Chinois visent à faire main basse sur nos technologies», reconnaît un fonctionnaire européen. L'UE a commencé à réagir depuis deux ans. Elle a durci sa législation antidumping et antisubventions. Elle a aussi adopté un règlement sur les investissements étrangers qui relève plus de l'échange d'informations que de la «surveillance». Car il n'est pas question d'interdire aux Chinois d'investir en Europe. Macron a rappelé vendredi que si le port du Pirée en Grèce ou l'électricité portugaise étaient passés sous contrôle chinois, c'est parce que les Européens n'étaient pas intéressés et que «nous avons créé des situations qui ont bénéficié à la Chine».

Course. A l'issue du sommet de la semaine dernière, les Vingt-Sept ont fait un pas de plus en soutenant les dix mesures proposées par la Commission le 12 mars. Parmi celles-ci, la possibilité de sanctionner les entreprises des pays qui n'ouvrent pas leurs marchés publics dans les mêmes conditions que ceux de l'Union, le renforcement du contrôle des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques, la lutte contre les transferts de technologie forcés, la définition d'une approche commune destinée à assurer la sécurité du réseau 5G, etc.

Comme le notait un récent rapport du Centre européen de stratégie politique, un centre de réflexion interne à la Commission, «il y a un sentiment palpable que l'Europe risque d'être reléguée si elle ne réagit pas d'urgence». La Chine a parfaitement compris que la naïveté européenne n'aurait qu'un temps et elle joue sur les intérêts étatiques divergents. Depuis 2012, elle organise un sommet annuel avec 16 pays d'Europe centrale et orientale (dont 11 appartiennent à l'UE) et déploie maintenant sa diplomatie vers les Etats du Sud européen. Une course contre la montre est engagée. Or la Chine a déjà montré qu'elle était la maîtresse des horloges.