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Interview

«Le Hamas fait monter la pression, mais sous-estime la volonté de riposte de Nétanyahou»

Après un nouveau tir de roquette de Gaza vers le centre d'Israël, le chercheur Tareq Baconi estime que le mouvement islamiste, au pouvoir dans l'enclave, tente d'arracher un desserrement du blocus avant les élections israéliennes imminentes. Au risque de provoquer une escalade militaire.
Près de la maison touchée par une roquette en provenance de Gaza, ce lundi à Mishmeret, un village au nord de Tel-Aviv. (Photo Jack Guez. AFP)
publié le 25 mars 2019 à 13h21

Bis repetita : dix jours après le tir de deux roquettes sur l'agglomération de Tel-Aviv, un nouveau projectile propulsé de la bande de Gaza s'est écrasé lundi au nord de la capitale économique de l'Etat hébreu, aux alentours de 5 heures du matin. Le système antimissile israélien «Dôme de fer» n'avait pas été activé. La roquette longue portée a détruit une maison dans le village agricole de Mishmeret, faisant sept blessés légers, dont trois enfants.

Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a décidé d'écourter son séjour aux Etats-Unis afin de superviser «de près» la riposte «déterminée» de l'armée israélienne. Des milliers de réservistes ont été rappelés pour renforcer la présence militaire dans le sud du pays. Aucune faction palestinienne n'a revendiqué ce tir, à quelques jours du premier anniversaire de la «Marche du retour» à Gaza et à deux semaines des élections législatives anticipées en Israël.

Tareq Baconi est chercheur au sein du think tank International Crisis Group et l’auteur de

Hamas Contained : The Rise and Pacification of Palestinian Resistance

(éd. Stanford University Press, 2018, non-traduit). Pour

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, l’analyste contextualise ce nouvel incident sécuritaire s’inscrivant dans un regain de tensions entre Israël et le Hamas depuis un an.

Comment expliquer ces tirs de roquettes, alors qu’Israël et le Hamas négocient toujours une trêve sous l’égide du Caire?

Il y a à la fois des raisons immédiates et un contexte plus large. Sur le temps long d'abord : Israël et le Hamas négocient depuis l'été dernier un cessez-le-feu de longue durée. Il y a eu des avancées, mais aussi des escalades militaires. A chaque fois, néanmoins, les négociations ont repris. Toujours sur les mêmes termes. Le Hamas réclame un desserrement significatif du blocus : entrée de fioul et de devises, élargissement de la zone de pêche, permis de travail en Israël, approvisionnement durable en électricité, plus de liberté sur l'import et export de marchandises. Israël attend du Hamas qu'il étouffe la «Marche du retour» pour revenir à la situation qui précédait le début des protestations. Dans ce cadre, le Hamas utilise la «Marche du retour» mais aussi les tirs de roquettes ou les ballons incendiaires pour relancer les négociations et arracher des concessions, comme, par exemple, le transfert mensuel de fonds qataris. Cependant, le Hamas considère qu'après chaque cessez-le-feu, Israël ne remplit pas sa part du contrat…

La proximité des élections israéliennes explique-t-elle ce durcissement ?

Les dirigeants du Hamas pensent que Nétanyahou n’osera pas lancer une grande opération militaire avant le 9 avril [date du scrutin, ndlr]. Ils voient cette période comme une fenêtre à exploiter pour obtenir le maximum, en augmentant considérablement la pression.

La récente vague de protestation contre les conditions de vie à Gaza, réprimée par le Hamas, joue-t-elle un rôle dans la dégradation de la situation ?

C'est un facteur immédiat. Les manifestants protestaient d'abord contre la cherté de la vie à Gaza. Mais ils tenaient le Hamas comme principal responsable de la situation, sans pour autant exonérer le blocus israélien. Le Hamas a réprimé le mouvement avec un usage de la force terrifiant sur les civils, ainsi que l'emprisonnement et la torture de militants des droits de l'homme et de journalistes. Le Hamas a perçu ce mouvement comme une manœuvre de déstabilisation opérée par Israël et l'Autorité palestinienne [basée en Cisjordanie et dominée par le Fatah, rival de l'organisation islamiste, ndlr], dans le but de diviser les Gazaouis à l'approche de sa grande mobilisation pour l'anniversaire de la «Marche du retour». Ce qui n'est pas entièrement faux du côté de l'Autorité palestinienne, qui a clairement un intérêt dans la division. Mais la réaction violente du Hamas a renforcé les dissensions. Les récents tirs de roquettes peuvent se lire comme une manière de rediriger cette colère vers Israël.

Un politologue palestinien a estimé que la roquette de ce lundi était un message aux prisonniers palestiniens…

La situation dans les prisons israéliennes est tendue depuis plusieurs semaines avec l'imposition de nouvelles restrictions sur les prisonniers, notamment l'interdiction de téléphones portables. Le Hamas et le Jihad islamique, dont une grande partie des dirigeants sont emprisonnés, y voient une atteinte à leur fonctionnement, au-delà des droits des prisonniers. Il faut noter que la nuit avant ce tir de roquette, un prisonnier du Hamas a poignardé deux gardes, provoquant une émeute.

Le Hamas nie toute responsabilité, évoquant une «erreur» (1). Est-ce crédible ?

On ne peut l'exclure mais il y a de quoi être sceptique. Cette «excuse» avait été acceptée par Israël il y a dix jours car elle permettait d'éviter un embrasement dont ne veulent ni le Hamas ni Nétanyahou. Mais il est vrai qu'à ce moment-là, la délégation égyptienne sur place tout comme mes sources à Gaza ont été extrêmement surprises. On peut imaginer que si c'était une décision délibérée, elle a été décidée par un cercle très restreint.

On évoque des groupes dissidents au sein du Hamas cherchant à faire capoter une éventuelle trêve…

Je ne le pense pas. Il y a toujours eu des courants variés dans le Hamas, et des tensions entre l’aile politique et militaire, mais généralement, une fois qu’une décision est prise par la direction, la base suit. Mais on peut imaginer l’implication d’une autre faction, comme le Jihad islamique qui, ces dernières années, s’est montré de plus en plus rebelle vis-à-vis du Hamas. C’est aussi le seul autre groupe armé à disposer d’une telle force de frappe balistique.

Il y a dix jours, le Hamas avait pour la première fois annulé les manifestations du vendredi afin de calmer le jeu. Peut-on imaginer les rassemblements anniversaires suspendus eux aussi ?

Le Hamas n'a plus cette possibilité, d'autant qu'il mobilise en vue de cette marche anniversaire depuis longtemps. Ces tirs de roquettes s'inscrivent dans un tout. C'est une stratégie de montée en pression pour obtenir des concessions. Mais c'est un jeu très dangereux, et j'ai le sentiment que le Hamas surestime ses atouts en minimisant la volonté de riposte de Nétanyahou. D'autant plus qu'avec ces événements, Israël va se sentir d'autant plus dans son droit à répondre violemment aux prochaines «marches», même si ces dernières restent majoritairement citoyennes et leur répression terriblement disproportionnée.

(1) Précision lundi à 14 heures : à l'AFP, un haut responsable du Hamas a estimé que le tir aurait pu être provoqué «malencontreusement par le mauvais temps». Argument déjà avancé pour un autre tir de roquette en octobre.